Les tumulus funéraires sénégambiens
@ Stéphane PRADINES 1996
1/ Qu'est-ce qu'un tumulus ?
Un tumulus est une calotte sphérique, parfois entourée d'un fossé comblé. Cette définition très générale permet d'englober les tumulus de terre, de sable ou de coquilles. Seule l'étude de la chambre funéraire avec la disposition des cadavres et la typologie de la céramique apporteront une meilleure connaissance du phénomène des tumulus.
La construction de tumulus n'est pas un rite funéraire musulman. L'islam en Sénégambie n'était respecté qu'en façade ; il était perçu comme un savoir supérieur lié au pouvoir. D'après J. Boulègue, le royaume du Grand Jolof reçu une islamisation superficielle, conservant toujours des rites d'initiation et des autels familiaux.
Les populations Wolof nomment les tumulus funéraires des Mbanar. Ils attribuent la construction de ces monuments aux Sereer.
Les Sereer distinguent nominativement deux sortes de tumulus funéraires :
- Les Podom qui sont des tumulus massifs construits par les populations Sosé. Ce sont des sépultures pré-sereer, antérieures au XIe siècle.
- Et les Lomb qui sont de petits tumulus groupés en nécropoles. Ils sont construits par les Sereer eux-mêmes jusqu'à nos jours.
Dans la région du Sine-Saloum, les populations Sereer continuent à ériger des tumulus jusqu'à la christianisation et l'islamisation complète du XIXe-XXe siècle. Seuls quelques villages Sereer pratiquent actuellement ce rite funéraire.
Les rituels funéraires sereer se sont forgés au contact de peuplements anciens implantés dans le pays sereer d'aujourd'hui. Les Sereer ont été marqués par l'empreinte culturelle des groupes humains rencontrés. Les tumulus sereer actuels et subactuels sont donc le résultat d'une acculturation, d'un métissage culturel.
Nous venons de voir brièvement que les tumulus sénégambiens possèdent plusieurs origines ethniques, certains sont attribués aux Sosé, d'autres aux Sereer. Ces deux populations et sûrement d'autres ne se sont pas installées en Sénégambie à la même période. Dès lors tous les tumulus d'une même région ne sont pas forcément contemporains. La réflexion de G. Aumassip illustre ce problème :
" En archéologie, le concept de contemporanéité n'est,
même dans les conditions d'observation les plus favorables, qu'une apparence à
application analogique. Le seuil de résolution temporel des procédés de datation
les plus sophistiqués n'autorise pas le préhistorien à réfléchir dans la synchronie
ou la courte durée. Or, ce repère chronologique restreint est indispensable pour
le dépistage des caractéristiques des modèles d'implantation territoriale des
groupes humains. Dès lors doit-on éluder la question ? " 2/ Définition de l'espace chronologique étudié
En l'état actuel de la recherche, les tumulus Sénégambiens sont datés des deux premiers millénaires de notre ère, plus précisément du IVe au XXe siècle après J.C.
Nous parlerons de tumulus funéraires du premier millénaire et de tumulus des Temps Modernes à partir de l'arrivée des Portugais en 1590 après J.C.
2-1/ Période Médiévale
L'archéologie des temps pré-coloniaux est définie comme une archéologie Protohistorique depuis l'ouvrage de G. Thilmans en 1980. La définition classique de la Protohistoire concerne l'Age des métaux, de la première métallurgie à la première écriture. Cette appellation est trop centrée sur l'Europe et ne convient pas bien sûr à l'Afrique.
V. Martin et C. Becker donnent alors à la protohistoire une définition plus africaine basée sur l'ethnologie :
" Tout établissement humain ancien, non revendiqué par les peuplements actuellement en place, mais attribué par eux à des groupements qui les auraient précédés. "
Cependant on peut objecter que cette définition nie toute protohistoire aux peuplements actuels.
H. Bocoum refuse complètement le concept de Protohistoire pour le Nord du Sénégal. Il parle d'archéologie historique à partir du IVe siècle pour la région de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, qui correspond à l'ancien Tekrûr.
L'idée de H. Bocoum est consolidée par les écrits des historiens de l'Afrique Noire qui parlent de période médiévale à partir du VIIIe siècle. Car les premiers écrits arabes sur l'Afrique subsaharienne sont censés donner la date du début de la période médiévale. H. Bocoum remonte au IVe siècle de notre ère en utilisant aussi les sources orales sur les premières dynasties du Tekrûr : les Dia-Ogo (fig.1).
Nous pensons que le terme " archéologie historique " est trop vague puisqu'il désigne aussi les Temps Modernes et coloniaux.
Il faut adopter un vocabulaire d'attente qui n'utilise pas les définitions européennes comme Age du Fer, Protohistoire ou Période Médiévale ...
Il faut aussi bannir les termes définis par une période archéologique comme le post-Néolithique. Car ce sont des Néolithiciens qui ont inventé ce terme, qui place le Néolithique au centre de l'histoire africaine.
Nous pensons qu'une définition basée sur des concepts ethniques, sociaux, religieux et politiques serait plus appropriée. Par exemple, les sites archéologiques du IVe au XIe siècle dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal pourraient être classés dans la période préétatique de la phase des Dia-Ogo.
Ces définitions seront affinées par l'étude des cultures céramiques associées aux différentes ethnies qui ont peuplé la Sénégambie.
2-2/ Période Moderne
La période des Temps Modernes est mieux connue. Elle s'étend de 1590 à 1850 ap. J.C. C'est-à-dire de l'arrivée des Portugais à la colonisation. La période des Temps Modernes peut être aussi appelée période précoloniale ou subactuelle. Enfin la période Contemporaine ou actuelle va de 1850 environ à nos jours.
Cette période des Temps Modernes est subdivisable en phases selon
l'ethnohistoire des provinces de Sénégambie. Par exemple pour la région du Sine
et Saloum, la phase Gelwaar définirait le XIVe-XIXe siècle. Ces populations se
sont installées dans cette région à partir du XIVe siècle et ont changé les rapports
politiques qui préexistaient.
3/ Historique des recherches
Les recherches archéologiques au Sénégal sont récentes, elles débutent avec les fouilles de Th. Monod à Dioron-Boundaw en 1939. Très peu de tumulus funéraires furent fouillés après l'entreprise de J. Joire à Rao-Nguiguéla en 1941. G. Thilmans fouilla un tumulus à Ndalane en 1971, puis quelques tumulus coquilliers dans les années qui suivirent. Dix ans plus tard, P. Curdy et A. Gallay firent une fouille très minutieuse d'un tumulus de la zone mégalithique à Mbolop-Tobé.
Les prospections archéologiques recensant les tumulus furent menées à partir des années 70 par V. Martin et C. Becker. En 1988, S. et R. McIntosh entreprirent à leur tour des prospections afin de localiser des sites d'habitats liés aux tumulus funéraires.
Nous présentons ici une liste chronologique des recherches archéologiques menées sur des tumulus ou apportant des informations à leur sujet :
1930 : 1 tumulus fouillé à Ndiao dans la zone mégalithique par
D. Jouenne.
1939 : 1 tumulus fouillé à Dioron-Boundaw par Th. Monod et J. de StSeine et 7
autres tumulus fouillés par H. Bessac.
1941 : 21 tumulus fouillés à Rao-Nguiguéla par J. Joire.
1942 : 9 tumulus fouillés à Massar par G. Duchemin et J. Joire.
1951 : 1 tumulus fouillé à Kaffrine par H. Bessac.
1956 : 2 tumulus fouillés à Dioron-Boumak par R. Mauny.
1956 : 1 tumulus à ligne frontale fouillé à Diam-Diam par R. Mauny.
1960 : J. Gard et R. Mauny découvrent les tumulus de Tiékène (Mbacké).
1962 : A. Clos-Arceduc utilise des photographies aériennes pour repérer des tumulus
dans la région de Mbacké. C'est la première utilisation de la photographie en
archéologie de l'Afrique occidentale.
1969 : début des prospections des sites archéologiques du Sénégal sur une surface
de 32.000Km2 par C. Becker et V. Martin.
1971 : 1 tumulus fouillé à Ndalane, région de Kaolack par G. Thilmans.
1972 : 3 tumulus fouillés à Dioron-Boumak par C. Descamps et G. Thilmans.
1973 : 1 tumulus fouillé à Soukouta (S.O de Dioron-Boumak) par G. Thilmans et
C. Descamps.
1974 et 1982 : fouilles à Faboura (amas coquillier) par G. Thilmans.
1976 : fouille de 3 cercles mégalithiques à Sine-Ngayène par G. Thilmans.
1977 : 1 tumulus fouillé à Dionewar par G. Thilmans.
1977 : fouille d'un tumulus pierrier à Saré-Diouldé par G. Thilmans.
1981 : 1 tumulus fouillé à Mbolop-Tobé (prés de Santhiou-Kohel) par P. Curdy et
A. Gallay.
1988 : prospections de S. et R. McIntosh sur les sites d'habitats liés aux tumulus
et chronologie céramique des tumulus.
1991 : fouilles S. et R. McIntosh et H. Bocoum à Tioubalel (site d'habitat du
Fouta-Toro).
1994 : 1 tumulus subactuel fouillé à Yenguélé par M. Lam.
Histoire et peuples de Sénégambie
La compréhension du phénomène des tumulus funéraires ne peut passer que par l'étude de l'histoire politique et sociale de la Sénégambie.
Les régions du Sénégal contemporain sont calquées sur les frontières des anciens royaumes. Du Nord au Sud, nous avons : le Waalo, le Fouta-Toro (ancien Tekrûr), le Jolof, le Kayor, le Bawol et le Sine-Saloum .
Actuellement quatres populations coexistent en Sénégambie :
- les Wolof localisés dans les régions du Jolof, du Waalo, du
Kayor et du Bawol ;
- les Malinké situés dans le Jolof et le nord du fleuve Gambie ;
- les Sereer concentrés principalement dans le Sine-Saloum ;
- et les Peul ou Toucouleur confinés au Fouta-Toro.
Nous savons par des témoignages historiques que l'ethnie sereer bâtit des tumulus funéraires au moins depuis le XVIe siècle. Une de nos problématiques est d'attribuer une ou plusieurs origine(s) ethnique(s) aux tumulus du premier millénaire après J. -C.
En archéologie, les ethnies peuvent être déterminées en fonction de techniques et de styles céramiques. En effet certains récipients céramiques présentent des caractéristiques propres à une population. Néanmoins la poterie n'est pas toujours spécifique d'une population déterminée : les changements culturels et les migrations sont difficiles à distinguer en archéologie.
Le peuplement d'un territoire s'organise sous l'effet de forces
internes : socio-culturelles et politiques, et de forces externes : capacité de
charge de l'environnement, matières premières, ressources alimentaires ... Les
mouvements de population peuvent être agressifs : guerres, invasions, colonisations.
Ils peuvent être aussi pacifiques lors de contacts commerciaux et culturels, dans
le cas de diffusion d'une religion. La poussée de nouveaux arrivants crée parfois
un " effet domino " qui a pour conséquence de rejeter les
populations déjà en place hors de leur territoire. Cela provoque quelquefois un
effondrement culturel local et la culture matérielle autochtone est remplacée
par celle des nouveaux venus.
1/ Le Fouta-Toro
1-1/ La dynastie des Dia-Ogo
Le Fouta-Toro correspond à la moyenne vallée du fleuve Sénégal. C'est dans cette région que s'élabore une entité politique puissante : la dynastie des Dia-Ogo dont l'apogée semble se situer entre 850 et 900 ap. J. -C. Les Dia-Ogo, descendants de nomades peul, arrivent au Fouta-Toro entre le Ier et le IVe siècle après J. -C. Ils apportent avec eux la technologie du fer. En effet les témoignages archéologiques de production du fer abondent sur les deux rives du fleuve Sénégal : vestiges de bas-fourneaux, tuyères, scories...
La maîtrise du fer est un facteur de changement des rapports sociaux. Ils hiérarchisent la population des villes. La dynastie des Dia-Ogo, formation préétatique de type confédération de clans, s'appuie sur l'apparition de castes spécialisées comme les forgerons. Les traces de spécialisation de cette métallurgie accompagnent le processus de concentration du pouvoir politique. L'analyse marxiste du contrôle des moyens de production permet d'observer la transformation des sociétés non centralisées en système étatiques.
La maîtrise de la chaîne opératoire du fer par les Dia-Ogo est à l'origine d'un système étatique complexe : le royaume du Tekrûr. Entre le IVe et le XIe siècle, apparaissent de véritables états centralisés comme le Tekrûr et le Ghana.
1-2/ Le royaume du Tekrûr
Le Tekrûr s'est développé dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal du IXe au XIe ap. J.-C. Al-Bakrî est le premier chroniqueur arabe à mentionner le royaume du Tekrûr dans son ouvrage daté de 1068 ap. J.-C. Un siècle plus tard, en 1154 ap. J.-C, Al-Idrisi évoque des grandes villes de la moyenne vallée du fleuve Sénégal toutes dirigées par des sultans : Tekrûr, Silla et Barisa.
" Tekrûr est une ville importante du pays des Sudan, sans murailles toutefois. Le pouvoir appartient aux musulmans. Les gens vont nus, sauf les notables : des musulmans qui s'habillent de tuniques. Quant aux idolâtres, ils se couvrent les parties naturelles de perles précieuses de cornalines montées sur fils et suspendues à la ceinture. "
Les sites archéologiques, correspondant à l'état du Tekrûr, n'ont pas livré de mobilier spectaculaire lié au commerce transsaharien. Pourtant Al-Idrisi parle d'un commerce d'or et d'esclaves échangés contre des perles, du cuivre et des tissus provenant d'Afrique du Nord. Au Xe siècle, la ville de Silla vend du sorgho, du sel et des anneaux de cuivre. Certaines productions sont proprement régionales comme les pagnes en coton fabriqués dans la ville de Taranka. Cela montre que le défaut d'objets importés ne doit pas être considéré comme l'indication d'un manque de réseaux commerciaux ou d'une pauvreté des centres socio-politiques fouillés.
Les anciens villages du Tekrûr forment des buttes anthropiques appelées Billes semblables aux Toguéré du Mali. Ces buttes aux contours irréguliers constituent un type d'habitat commun à la moyenne vallée du fleuve Sénégal et du delta intérieur du Niger. Certains types de céramiques comme les coupes à pied se retrouvent du site de Niani dans l'actuelle Guinée au site de Sintiou-Bara au Nord de l'état du Sénégal ; en passant par la falaise de Bandiagara et le delta intérieur du Niger.
Selon Al-Idrisi, les rives du fleuve Sénégal n'étaient pas désertiques aux XIe-XIIe siècles :
" Le Nil coule dans ce territoire d'Est en Ouest. Sur les rives poussent le roseau sharki, l'ébénier, le buis, le saule et le tamaris en forêts à perte de vue ... "
Mais la production de fer depuis les Dia-Ogo a demandé beaucoup de combustible et entraîné une désertification de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Soumises à une forte pression démographique et à une période de sécheresse, les grandes villes du Tekrûr se disloquent au XIe siècle.
La date charnière de XIe siècle correspond aux razzias du djihad almoravide. Sidjilmassa est occupée et Awdaghost, ville du Ghana, est détruite en 1055 ap. J.-C. Khoumbi Saleh, la capitale du royaume païen du Ghana, est rasée par les Almoravides en 1076 ap. J.-C. Le Tekrûr et son puissant voisin oriental, le royaume du Ghana, sont soumis. Selon Al-Bakrî, le roi du Tekrûr, War Djabi se convertit à l'islam en 1040 ap. J.-C. A partir de l'islamisation, de nouvelles populations s'installent au Tekrûr, principalement des Soninkés de l'ancien royaume du Ghana et du futur empire du Mali. Cela force aussi les populations les plus animistes à s'exiler. L'équilibre politique et économique de la région est rompu, le royaume du Tekrûr se retrouve isolé.
Les invasions almoravides, la sécheresse et la pression démographique entraînent un exode massif de populations, comme les Sereer qui quittent le Tekrûr au XIe siècle.
Le pouvoir politique qui appartenait à la région du Fouta-Toro est transféré vers la région du Waalo entre le XIe et le XIIIe siècle.
Le fleuve Sénégal reprend de l'importance au début du XVIe siècle. Les Fulbe sous la direction de Tengella forment l'état peul du Fouta-Toro de 1490 à 1512 ap. J.-C. Il donnera son nom à la région de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Le fils de Tengella, Koli-Tengella, étend le royaume vers l'Ouest et conquiert une partie du Jolof. Au XIXe siècle, la domination de l'ethnie peul va s'exercer du Fouta-Toro (Sénégal) au Fouta-Djallon (Guinée) en passant par le Mali actuel avec le Macina. Le chef de ce pouvoir théocratique, Cheikou Ahmadou, mena une politique fondée sur la morale islamique. Il fit construire une nouvelle capitale, Hamdalahi, imposa la vie sédentaire aux Peul et organisa la transhumance dans le delta intérieur du Niger.
Nous avons pu constater lors de nos prospections archéologiques que la suprématie peul a peut-être contribué à une uniformisation des styles céramiques au XIXe siècle.
1-3/ Le royaume du Ghana
Le royaume du Ghana (ou Wagadu) connut une évolution comparable à celle du Tekrûr. Il apparait au IVe siècle ap. J.-C., connaît son apogée au Xe siècle, puis est ruiné par les Almoravides.
Les populations sarakollés sont à l'origine du royaume du Ghana. Le terme Sarakollé est un mot wolof qui désigne en fait des Soninkés (groupe linguistique mandé). Ils vivent entre les fleuves Sénégal et Niger.
D'après Al-Bakri, les souverains du Ghana étaient inhumés dans des tumulus. Le rituel est très proche de celui des Sereer, mais l'architecture funéraire diffère des tumulus sénégambiens :
" A la mort d'un roi, ils dressent un immense dôme en bois de Sadj au-dessus de la sépulture. On y apporte le corps que l'on place sur un brancard garni de quelques tapis et coussins. Ils posent près du mort ses parures et ses armes, ses objets personnels pour manger et boire, accompagnés de mets et boissons. On enferme avec lui plusieurs de ses cuisiniers et fabricants de boissons. Une fois la porte fermée, on dispose sur l'édifice des nattes et des toiles. Toute la foule assemblée recouvre de terre le tombeau qui devient peu à peu comme un tumulus impressionnant. On creuse ensuite un fossé tout autour en laissant un passage pour accéder au tombeau ... "
Le tumulus d'El-Oualedji, situé dans la région de Goundam, fut fouillé en 1904 par L. Desplagnes. Il découvre à 10 m sous la surface deux squelettes inhumés dans les restes cendreux d'un caisson funéraire en bois de rônier. La surface du tumulus est constituée d'argile cuite. Les croûtes, visibles en surface, sont les restes d'une structure architecturale et les charbons de bois sont les vestiges du combustibles utilisé pour la cuisson du " banco ". Selon P.-B. Fontes :
" L'édification du tumulus d'El-Oualadji est datée en 14C calibré de 1030 à 1220 de notre ère. Soit deux siècles et demi après celle des tumulus de Tondidarou dont les dates couvrent un intervalle de temps compris entre 670 et 780 de notre ère. "
La surface du groupe des tumulus du Killi, entre le lac Debo et Tombouctou, est cuite exactement comme à El-Oualedji. Le tumulus de Kouga, fouillé par R.Mauny en 1955, présente lui aussi des structures de combustion : puits et canaux sous la croûte de banco cuite. Kouga est daté par 14C de 1000+-150 ap. J.-C.
Les tumulus maliens, contemporains du royaume du Ghana, constituent
des monuments funéraires détachés de toute influence islamique. La chambre funéraire
composée de bois est recouverte d'un dôme de sable et d'argile lacustre. Des puits
sont aménagés comme à El-Oualadji et Kouga pour faciliter la combustion du bois.
Lorsqu'elle est terminée, il reste une couche de banco cuite par sa face inférieure.
Un comblement contenant des tessons et des restes de cuisine remplit alors l'espace
laissé par le bois brûlé dont on retrouve les charbons au bas de la couche de
comblement.
2/ Le Waalo et le Jolof
2-1/ Le Waalo
Le royaume du Waalo est fondé au milieu du XIIIe siècle. Il est situé dans la basse vallée du fleuve Sénégal. Le royaume du Waalo s'est vraisemblablement formé entre le XIe et le XIIIe siècle avec l'arrivée des populations de l'ancien Tekrûr. Néanmoins la tradition orale parle d'une origine mauritanienne du fondateur du Waalo Njajaan Njaay (1212-1270). Ce dernier établit sa capitale à Mboy-U-Gar. Puis entre 1270 et 1280 ap. J.-C., la capitale est transférée à Diourbel dans la région du Jolof. C'est le début de l'expansion territoriale qui donnera naissance au royaume du Grand Jolof.
2-2/ Le Grand Jolof
Le royaume musulman du Grand Jolof est directement issu de l'état du Waalo. Il domine la Sénégambie du XIIIe au XVIe siècle. Au XIVe siècle, les royaumes du Jolof, du Kajoor et du Bawol sont inclus dans le Grand Jolof, qui s'étend à la fin du XIVe siècle sur le Sine-Saloum. Enfin, la rive Nord du fleuve Gambie est contrôlée au début du XVe siècle.
La population du Grand Jolof est composée à majorité de Wolof. Néanmoins des éléments soninké s'acculturent aux Sereer dans la région du Bawol sûrement lors des grandes migrations du XIe-XIIe siècles. Le premier roi du Bawol porte un nom à consonance soninké : Kaya-manga ; il existe pourtant dans le Bawol peu de souvenirs de populations pré-wolof. Seule la toponymie présente des noms sosé ou sereer. D'après la tradition orale, Kaya-manga est enterré sous un grand tumulus situé à côté du village de Gninguène.
Lors des guerres engagées par l'empire du Mali, les Malinkés se répandent dans l'Ouest africain. Les Malinkés ont pénétré temporairement en Sénégambie entre le XIIIe et le XIVe siècle. L'empire du Mali affronte le Grand Jolof vers 1350 ap. J.-C. Le lieutenant de Sunjata Keita, roi du Mali, prend possession d'une partie des terres du Jolofin Mansa, roi du Grand Jolof. Cependant les Malinkés sont vite absorbés par le Grand Jolof et les territoires perdus repris.
Le Grand Jolof est plus déstabilisé en 1445 ap. J.-C. avec l'arrivée
des caravelles portugaises, mais il s'adapte au commerce atlantique. Il se disloque
véritablement en 1490 ap. J.-C. avec l'invasion par les Fulbe de Koli Tengella
de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. La fin de " l'empire "
du Grand Jolof pousse les gouverneurs (lamanes) à reprendre leur indépendance.
Les Portugais notent ainsi l'existence de plusieurs royaumes en Sénégambie (avec
des rois au titre différent) : le Brak du Waalo, le Damel du Kayor, le Bourba
du Djolof, le Bour du Sine, le Bour du Saloum et le Mansa du Gaabu.
3/ Le Sine-Saloum
3-1/ Les premiers occupants
La région du Sine-Saloum était occupée à l'origine par des populations Noon, Ndut et Safeen, selon H. Gravrand (1983). Noon est un mot sereer qui désigne " les ennemis ", car les Noon n'ont certainement pas accepté rapidement la colonisation de leurs territoires par les Sereer. Le sous-groupe Noon a été intégré tardivement au groupe sereer. Les Noon sont peut-être les premiers bâtisseurs de tumulus dans le cas d'une hypothèse endogène du phénomène.
Une vague de population sosé arriva ensuite du Nord et de l'Est (apparentés aux Mandé). Les Sosé viennent peut-être du royaume du Ghana entre le VIIIe et le XIIe siècle. Avec l'arrivée vers le XIIIe siècle des Sereer, les Sosé ont-ils été absorbés ou rejetés ? Si les Sosé sont les premiers bâtisseurs de tumulus (hypothèse exogène), leur rejet s'est-il fait vers le Nord comme le montre la dispersion des tumulus tardifs, par exemple Rao?
3-2/ Les Sereer
Les Sereer s'implantent dans le Sine-Saloum à partir du XIIe siècle (fig.2). On ne sait pas si l'ethnie Sereer s'est crée au contact des populations déjà en place dans le Sine-Saloum ou bien si elle s'est formée lors de son départ du Tekrûr ?
Sereer est un mot toucouleur qui signifie : " les séparés ". Les Toucouleur parlent le " Pulaar " : la langue des Peul. Les Sereer séparés des Toucouleur conserveront cette parenté pulaar-toucouleur.
Selon la tradition orale, les Sereer quittent le Tekrûr au XIe siècle. Ils s'établissent dans le Sine-Saloum et traversent préalablement les régions du Waalo, du Jolof et du Bawol. La durée de leur migration est estimée à un ou deux siècles maximum.
Dans la région du Sine-Saloum, le sel est l'objet d'un trafic rentable. Les Sereer exploitent le sel de la ville de Fatick au second millénaire après J.-C. " Fa tick " veut dire en Sereer : la vallée des salines. Le sel est utilisé comme monnaie pour les échanges avec le Bawool et le Kajoor. Ces relations commerciales Sud-Nord ont peut-être encouragé la diffusion d'un mode de pensée : les sépultures sous tumulus.
Actuellement les Sereer se divisent en cinq sous-groupes : les Saafi, les Noon, les Ndut, les Paloor et les Lexaar.
3-3/ Les dynasties Gelwaar
Les Gelwaar sont des populations venues du Sud de la Sénégambie, du royaume du Gaabu. Ce royaume est certainement l'extension occidentale de l'empire du Mali entre les fleuves Gambie et Casamance. Le peuplement mandingue est très important sur la côte atlantique. En effet, de nombreux Malinké viennent s'installer au sud du fleuve Gambie à partir du XIIIe siècle. Ces Gelwaar, d'origine malinké, appartiennent à l'aristocratie guerrière et marchande.
Les populations gelwaar se fixent dans la région du Sine et créent le royaume du Djonik au début du XIVe siècle, avec Kulaar comme capitale. Jusqu'à l'arrivée des Gelwaar, il n'y avait pas de pouvoir central dans le Sine-Saloum. Ces régions s'étatisent parallèlement au Grand Jolof avec une même structure lamanale. Les anciens chefs de lignage deviennent des chefs de territoire (gouverneurs).
Les Gelwaar fondent ensuite le royaume du Sine vers le milieu du XIVe siècle. Ils établissent leur capitale à Mbissel puis à Diakhao au XVe siècle. Le rituel d'intronisation se fait sur un tumulus funéraire comme pour le royaume du Ghana :
" Maysa Waaly Jon a été inhumé à Mbissel. Un culte lui est rendu dans la rotonde où la tradition rapporte qu'il a été enseveli. Les rites du couronnement du Maad a Sinig s'achevaient par une cérémonie à Mbissel près du tombeau de Maysa Waaly. Toute la nuit, le nouveau Maad devait rester, seul avec son épouse, face au fondateur de la dynastie et s'inspirer de son esprit pour continuer l'oeuvre politique qu'il entreprit jadis au Sénégal, à partir de Mbissel ".
Le royaume du Saloum est fondé par les Gelwaar à la fin du XVe siècle. Le Saloum, dont la capitale est Kahone, occupe la rive nord du fleuve Gambie en 1566 ap. J.-C. L'islam pénètre difficilement dans ses terres.
En résumé, les Gelwaar ont occupé la région du Sine-Saloum du XIVe au XVIe siècle en exerçant une domination sur les populations déjà en place comme les Sereer.
Architectures et rites funéraires
1/ Classification et inventaire des tumulus
Les tumulus sénégambiens sont au nombre de 11219 sur une surface de 32000 km2. Cette large répartition ne constitue pas un phénomène homogène, bien que les dates 14C fournies par les sites fouillés dans le Sine-Saloum ou la moyenne vallée du fleuve Sénégal ne présentent pas d'opposition chronologique.
Les tumulus en terre ou en sable sont 6868 répartis sur 1444 sites. A ceux là s'ajoutent les 3448 tumulus des 452 sites de la zone mégalithique. Ces tumulus comportent une pierre frontale à l'Est au lieu d'un simple piquet monoxyle. Enfin 903 tumulus coquilliers viennent compléter l'ensemble (fig.3).
R. et S. McIntosh ont mis en évidence deux groupes de tumulus lors de leurs prospections en 1988. Le groupe Sud est localisé principalement dans le triangle Fatick-Kaolack-Mbacké. La céramique de ces tumulus présente des analogies avec les faciès céramiques du secteur mégalithique et des amas coquilliers. Le groupe Nord est caractérisé par une céramique plus tardive associée à de gros tumulus.
L'ensemble Sud peut-être subdivisé en quatre sous-groupes :
- les tumulus coquilliers du delta du Saloum sur la façade atlantique
;
- les tumulus sereer du Sine-Saloum ;
- les tumulus du secteur mégalithique ;
- et les grands tumulus inclassables comme Ndalane.
Ces grands tumulus sont antérieurs au peuplement sereer et sont attribués par les Sereer eux-mêmes aux Sosé. Ces édifices occupent une place particulière au sein des tumulus sénégambiens puisqu'ils sont situés entre les tumulus coquilliers à l'Ouest, les tumulus de la zone mégalithique à l'Est et les grands tumulus du Nord comme Tiékène. De plus ces tumulus recoupent l'aire d'extension des tumulus subactuels sereer. La recherche archéologique devrait donc s'orienter vers ce type de tumulus afin de comprendre les interactions entre les différentes structures funéraires.
L'ensemble Nord, en l'état actuel de la recherche, ne présente que deux sous-groupes :
- la zone des gros tumulus du Waalo (Rao) et du Djolof ;
- et la zone des très gros tumulus de Tiékène dans le Bawol.
S. et R. McIntosh ont constaté la disparition par l'érosion des tumulus inventoriés vingt ans auparavant par C. Becker. Ce problème rend de plus en plus urgent une intervention archéologique dans les zones les plus touchées.
Beaucoup de tumulus sont arasés par des agents naturels comme le vent ou les pluies. L'érosion peut être aussi de nature anthropique, tels l'agriculture (culture des arachides) ou le piétinement des troupeaux.
Les prospections systématiques centrées sur les tumulus présentent un problème de méthodologie. En effet les ensembles de tumulus les mieux connus sont ceux qui se trouvent prés des axes de communication et des régions fortement peuplées.
Les prospections ne s'attardent jamais sur la région du Ferlo.
Cette zone orientale du Sénégal, actuellement quasi-désertique, ne possède pas
de bons axes de communication. Des prospections intensives devraient s'intéresser
à cette partie du Sénégal, ancienne zone de passage des populations qui recèle
peut-être de nombreux tumulus ; ces recherches permettraient de comprendre la
diffusion ou la relation des modes d'inhumation entre la moyenne vallée du fleuve
Sénégal et le Sine-Saloum.
2/ Les grands tumulus du Waalo, du Jolof et du Bawol
Les régions du Waalo, du Jolof, du Kayor et du Bawol correspondent à l'ensemble des tumulus septentrionaux. Ils se répartissent ainsi :
- Waalo : 52 sites et 305 tumulus
- Kayor : 201 sites et 486 tumulus
- Jolof : 167 sites et 1665 tumulus
- Bawol : 383 sites et 1921 tumulus
Le groupe de Tiékène, dans le secteur de Diourbel, est le plus important du Sénégal. Le site se trouve à 14 Km au Sud de Mbacké. Dix-neuf tumulus se détachent très nettement de la surface plane et sablonneuse. Les tumulus sont rigoureusement circulaires.
Ces grandes buttes sont regroupées sur un rayon de 1 km. Elles font de 2 à 10 m de haut pour 10 à 74 m de diamètre. Toutes sont entourées d'un fossé à moitié comblé aujourd'hui. Ces tumulus occupaient un secteur boisé avant la mise en culture récente des terrains.
Leur construction s'est faite en creusant vers l'intérieur et en rejetant les déblais vers le centre. Le tracé exact du cercle est un procédé mathématique réalisé à l'aide d'instruments simples comme une cordelette. Ce travail ordonné devait être dirigé lors d'un rituel connu de quelques initiés. Le volume de terre pour les grands tumulus de Mbacké correspond à 25000 journées de travail pour un terrassier. La technique d'extraction de la terre se fait simplement à la houe, puis la terre est transportée par paniers. Cette technique a pu être mise en place dès le Néolithique.
Le toponyme de Rao couvre deux groupes de tumulus distants de 5 Km : Rao-Nguiguéla et Massar. Ces tumulus sont représentatifs de l'ensemble Nord ; ils sont datés de 1199+-100 ap. J.-C. (fragment d'oeuf d'autruche). Les tumulus font de 0,75 à 6,5 m de haut et de 15 à 70 m de diamètre. Le tumulus P de Rao-Nguiguéla fait 5 m de haut pour 70 m de diamètre, alors que le plus grand de Massar fait 4 m de haut pour 40 m de diamètre.
La structure interne des tumulus est mal connue. Une coupe " stratigraphique " du tumulus P de Rao-Nguiguéla fut présentée par J. Joire en 1955 (fig.4). Elle montre des lignes noires en chapeau de gendarme à -2,8 m. Ces traces de cendres sont les restes du toit de case ... Le tumulus P faisait 40 m de diamètre sur 4 m de haut. Le matériel découvert dans ce monument était à -3,6 m, ce qui veut dire que le sujet était inhumé sur le sol ou à 40 cm du sol naturel.
Les tumulus E et G de Rao-Nguiguéla contenaient des inhumations individuelles. Les squelettes, très abîmés, étaient orientés la tête au Nord-Est et les pieds au Sud-Ouest. Ils étaient couchés sur le dos, la face tournée vers l'Ouest.
Le tumulus n°1 de Massar comportait aussi des traces cendreuses en chevron caractéristiques de la zone du toit de case.
Certains tumulus fouillés à Rao-Nguiguéla et Massar étaient stériles. Ce sont les tumulus n°2,3,7 et 9 de Massar et D, F et I de Rao. Le tumulus n°3 est l'un des plus grands du site avec 4 m de haut. S'agit-il d'une fausse tombe ou d'une éminence artificielle pour l'intronisation ?
Outre les recherches bibliographiques, j'ai consulté des photographies aériennes à la photothèque de l'I.G.N. au 10.000e et au 15.000e dans le but d'étudier la répartition des grands tumulus de Rao et Tiékène (fig.5).
La série au 10.000e fut étudiée par A. Clos-Arceduc en 1962. Les tumulus sont difficiles à discerner en terrain boisé et parfois se confondent avec des enclos à bétail circulaires. Seule l'utilisation d'un stéréoscope permet d'éviter ce genre d'erreur. Il existe aussi des séries au 60.000e, mais les tumulus sont invisibles à cette échelle. Dans l'ensemble l'utilisation des photographies aériennes ne donne pas de résultats satisfaisants. Seuls les clichés n°25 et 65 au 15.000e de la région de Rao présentent une concentration de tumulus en axe Sud-Ouest/Nord-Est.
Les tumulus sont souvent groupés par petites grappes excédant
rarement la vingtaine. P. Brun propose l'hypothèse suivante pour les tumulus français
: les membres d'une petite dynastie locale y furent enterrés pendant quelques
siècles, de génération en génération. Les gros tumulus surplombent les crêtes
de dunes comme à Rao-Massar, Yang-Yang ou sur les terrasses de rivières tel Madina.
De ces positions dominantes, ils peuvent être vus par tout le monde. Ces gros
tumulus sont interprétés par C. Renfrew comme des indicateurs de possessions territoriales
de clans ou de chefferies.
3/ Les tumulus coquilliers du delta du Saloum
C. Descamps et G. Thilmans ont recensé 903 tumulus funéraires, répartis dans 18 amas coquilliers sur les 96 que compte le delta du Saloum. Les tumulus funéraires sont construits aussi avec des coquillages provenant d'amas coquilliers (kjökkenmödding). Les tumulus et les amas sont composés à 95% d'Arca Senilis. Les tumulus et amas coquilliers sont repérables de loin par la présence de baobabs ; cet arbre poussant très bien en terrain calcaire. Les plus gros tumulus font jusqu'à 100 m de large et sont situés entre le delta du Saloum, Joal et Fadioute. Par exemple, le tumulus de Palmarin-Ngallou fait près de 100 m de diamètre (fig.8).
Le plus gros site : Faboura se trouve au Sud-est de Joal. L'amas de Faboura faisait 12 hectares sur 8 m de hauteur; il est daté par 14C de 10+-80 à 635+-80 ap. J.-C. Il a été exploité industriellement pour la fabrication de la chaux et le remblayage de la route de Palmarin. Les amas coquilliers de Casamance et de l'embouchure du fleuve Sénégal sont différents et sont généralement plus anciens, parfois Néolithiques.
Les coquillières du delta du Saloum sont localisées principalement sur les îles Gandoul, Betanti et Niombato. Le delta du Saloum est composé de chenaux de marée appelés " bolons " et de végétation semi-aquatique, les mangroves. L'île de Niombato est séparée de la terre ferme par un bras du Saloum : le Bandiala.
L'amas de Dioron-Boumak, proche de Niombato, forme une île artificielle d'une dizaine d'hectares. Près de 125 tumulus ont été répertoriés à Dioron-Boumak et 12 dans le site voisin de Dioron-Boundaw. Les tumulus funéraires de Dioron-Boumak datent de 758+-120 à 1310+-120 ap. J.-C. (fig.6), l'amas lui-même est plus vieux, du IVe au VIIIe siècle. La construction des tumulus funéraires commence vers le VIIIe siècle lorsque le site d'habitat est déserté et réemployé en cimetière. Les datations 14C calibrées à Dioron Boumak sont comprises entre 790 et 1230 ap. J.-C. pour les amas coquilliers alors que les tumulus sont datés de 1000 à 1300 ap. J.-C. Cela annule l'idée d'antériorité des amas coquilliers sur les tumulus funéraires et pose le problème suivant : les inhumations étaient-elles postérieures ou contemporaines des sites d'habitats ?
A côté de Dioron-Boumak, le site de Bangalere a été daté par 14C de 300+-130 à 955+-155 ap. J.-C. Un des plus grands sites est Tioupane avec 222 tumulus dénombrés. Un tumulus funéraire a été fouillé sur les 149 du site de Dionewar ; il est daté par 14C de 395 ap. J.-C. A 900 m de Dionewar, le site de Ndiamon-Badat possède 149 tumulus sur un amas coquillier d'un kilomètre de long. Le site de Soukouta comprend 33 tumulus. A côté du village de Bamboung, six tumulus sont presque entièrement constitués de sable avec seulement quelques lentilles de coquillages. Le même phénomène se répète par exemple à Colombato (800 m à l'Ouest d'Hamdallaye) où 18 tumulus sur une mince couche coquillière sont composés de sable.
Les tumulus coquilliers sont caractérisés par des inhumations multiples, mais individuelles. Les trois tumulus A, B et C de Dioron-Boumak contenaient 39, 40 et 68 squelettes. Parfois les inhumations étaient moindres comme les douze individus trouvés dans un tumulus à Soukouta. Les personnes enterrées dans la masse du tumulus et en périphérie étaient vraisemblablement des esclaves domestiques sacrifiés ou des gens de la même famille. Dans le cas d'esclaves, les inhumations ont dû être simultanées. Pour les membres d'une même famille, le tumulus devait servir de " caveau familial " et les inhumations étaient indépendantes.
Cette hypothèse est la plus solide car elle est prouvée par des textes européens pré-coloniaux et des témoignages archéologiques. Par exemple, G. Thilmans a réalisé un sondage de deux mètres de profondeur sur l'amas coquillier de Faboura. Il a exhumé cinq squelettes, chacun sous un tertre individuel. Les tertres étaient signalés par de gros coquillages (Cymbium) perforés artificiellement.
Les inhumations étaient successives et augmentaient la hauteur et le diamètre du tumulus. L'orientation des squelettes dans les tumulus coquilliers est variable. A Toubakouta, un individu était orienté la tête au Nord-Est et les pieds au Sud-Ouest (fig.). Il était couché sur le côté gauche. A Dionewar, un individu était orienté vers l'Est. Il reposait en décubitus latéral droit, les genoux légèrement fléchis. Enfin R. Mauny trouva un squelette à Fadioute, daté par 14C de 900 ap. J.-C. Mais il n'a pas relevé sa position, ni son contexte. De façon générale, tous les squelettes exhumés des tumulus coquilliers sont toujours en connexion anatomique.
Malgré les nombreuses fouilles réalisées dans le delta du Saloum, nous ne pouvons toujours pas attribuer une origine aux bâtisseurs des anciens tumulus. Au XVIe siècle, D.-P. Pereira désigne sous le nom de Gibandor la région littorale située entre les embouchures des fleuves Saloum et Gambie. La zone des amas coquilliers du delta du Saloum est occupée par des populations mandé selon H. Gravrand. Ils vivent dans des villages appelés " Fa ". La structure sociale des villages Fa ne connaît pas de hiérarchie. Ces populations sont " sereerisées " entre le XIVe et le XVIe siècle.
A. Corre observe en 1877 :
" Quand une personne meurt on transporte son corps à un endroit marqué pour les sépultures, on le dépose sur un lit de coquilles, sous une case en paille que l'on recouvre de coquilles : ce sont ces tumuli de coquilles d'huîtres ou d'arches que les étrangers prennent pour des carrières en exploitation. Il y en a plusieurs aux environs de Joal et de Fadiouth. A la mort d'un parent on ouvre le tumulus pour placer son corps à côté des restes de celui qui l'a précédé, puis on referme l'ouverture . "
Cela confirme que les Sereer du littoral se servaient de coquillages
pour édifier leurs tumulus. La matière architecturale est différente selon les
possibilités d'exploitation du milieu. La définition des grandes cultures archéologiques
du premier millénaire après J.-C. se fera donc à travers l'étude des vestiges
matériels. Car les architectures et les positions des squelettes sont très variables
et correspondent à des entités sous-régionales de la même ethnie (fig.7).
4/ Les tumulus du Sine-Saloum
La province du Sine comprend 248 sites et 977 tumulus et le Saloum est riche de 393 sites et 1514 tumulus. A ceux-ci s'ajoutent les 3448 tumulus de la zone mégalithique.
Les tumulus du Sine-saloum se répartissent en trois catégories :
4-1/ Les tumulus sereer
Les tumulus actuels et subactuels en pays sereer font 1,5 à 2 m de haut contre 4 à 6 m pour les anciens tumulus.
Actuellement certains Sereer continuent à enterrer leurs morts sous des tumulus comme à Langomak. Mais ce rite funéraire est ralenti en pays sereer par la progression de l'islam et du christianisme.
Lors des funérailles, les hommes sacrifient des animaux et plantent à l'Est un à trois piquets en bois à côté duquel sont déposée(s) une ou plusieurs poterie(s) retournée(s) sur l'ouverture (fig.8). La poterie, appelée canari, était percée d'un petit trou lors de son dépôt ; ceci pour éviter tout vol et pour marquer la propriété du défunt. Cet autel familial sert pour les libations annuelles officiées par l'aîné de la famille. Cette offrande est une bouillie de mil versée à l'ancêtre à l'époque des semailles. Les descendants honorent ainsi leurs ancêtres importants. Les tumulus sereer subactuels (lomb) sont le plus souvent dispersés entre les quartiers des villages. Ils forment parfois de véritables nécropoles de dizaines de tumulus.
C. Becker a réalisé une étude ethnohistorique sur les rites d'inhumations sereer en 1982. Les textes qu'il a réunis ont plusieurs points communs :
La construction de tumulus est en général réservée aux chefs de famille. Pour les personnages importants, un faux tumulus peut être édifié. Les individus ordinaires sont ensevelis sans édification de tumulus, dans une fosse ou un hypogée. Les sépultures des jeunes enfants sont souvent réalisées à proximité de la maison même.
Le défunt est déposé dans une fosse souterraine. Le creusement d'une chambre funéraire n'est pas systématique en pays sereer ; parfois le lit funéraire est déposé à même le sol. Ensuite l'ensemble est coiffé d'un toit de case, édifié en dehors du village. Le toit de case est soutenu par quatre poteaux qui dépassent à peine du sol. Les cases sont ensuite recouvertes de sable puisé autour de l'édifice. Ce qui forme un fossé circulaire peu profond et régulier. La hauteur de l'amas dépend de la fortune du disparu et de ses parents. Il était de coutume de faire don d'un boeuf à chaque village voisin participant à la construction.
Les positions et l'orientation des cadavres des communautés sereer actuelles ont été relevées par C. Becker. Dans la quasi-totalité des cas, la tête est tournée vers l'Est et les pieds vers l'Ouest. Dans certains villages, on a signalé une orientation Sud-Nord. Les jambes ne sont jamais pliées, mais seulement fléchies. Les individus sont fréquemment étendus sur le côté droit. La position allongée sur le dos ou debout était réservée aux personnages importants de la communauté sereer. Le mort est accompagné d'offrandes : provisions de nourriture et animaux ou humains sacrifiés.
Sur ce point, de nombreux textes du XVIIe siècle parlent de ces sacrifices d'esclaves et de femmes.
V. Fernandes, au XVIe siècle, appelle les Sereer et Wolof voisins " idolâtres ". Les populations du Sud de la Sénégambie et de la Gambie étaient donc non islamisées. Il décrit aussi les funérailles d'un roi du Manding, en Gambie. Ce texte présente des analogies avec la description d'Al-Bakri, de l'enterrement du roi du Ghana au XIe siècle.
" Dans sa case ils font un trou de la grandeur d'un grand four et très profond. Et ils prennent le roi et le posent assis sur le derrière, dans la fosse. Et tout près de lui ils déposent ses armes, c'est-à-dire ses javelots, arcs et flèches. Et mettent avec lui sa première femme et ses familiers auprès, vivants, avec lui. Alors ils couvrent de bois la fosse vers le haut comme un plancher avec des branchages. Et sur ces branchages ils placent une grande butte de terre aussi haute qu'une maison. "
Au début du XXe siècle, on cesse d'enterrer les morts avec une bonne partie de leurs richesses comme jadis. Le mobilier était enseveli avec le défunt pour assurer son bien-être par la présence d'objets familiers et de provisions, surtout de la boisson, du couscous, et de la viande. Les hommes recevaient en plus un instrument agricole, une pipe et du tabac. On déposait généralement auprès des femmes des poteries, un mortier, des fusaïolles et des parures. Si le défunt était important, une poule ou un veau était sacrifié.
L'étude de C. Becker nous laisse la possibilité d'interpréter les tumulus d'abord subactuels (XVe-XIXe) puis les tumulus plus anciens (IVe-XIVe siècle). Les tumulus subactuels d'après les témoignages historiques peuvent être attribués pleinement aux Sereer.
M. Lam est le seul à avoir fouillé un tumulus subactuel à Yenguélé près de Niakhar dans la région de Fatick. Les villageois de Yenguélé exploitaient une termitière comme carrière d'argile pour la confection de briques. Ils furent très surpris d'y découvrir des squelettes humains et des perles. M. Lam, chercheur à l'I.F.A.N., entreprit des fouilles de sauvetage. Le tumulus de Yenguélé faisait 6 m de diamètre et 80 cm de haut. A 60 cm de profondeur du sommet, des fragments d'os longs, un crâne et deux mandibules furent exhumés. L'inhumation collective et simultanée des deux individus était accompagnée de matériel funéraire. Il y avait deux colliers en coquillages, un collier de perles en cornalines, une épingle à cheveux en cuivre et une pipe en terre cuite. Cette sépulture est dite subactuelle par la petite taille du tumulus et par la présence d'une pipe entière en céramique.
4-2/ Les tumulus de la zone mégalithique
Les tumulus de la zone mégalithique possèdent souvent une pierre frontale à l'Est, comme le tumulus de Kaffrine fouillé par H. Bessac en 1951 ou celui de Diam-Diam fouillé par R. Mauny en 1956. R. Mauny trouva à Diam-Diam deux crânes à 80 cm de profondeur. Une coupelle en céramique était placée ouverture vers le bas sur l'un des crânes.
La seule fouille d'un tumulus de la zone mégalithique a été réalisée par l'équipe d'Alain Gallay en 1981. Mbolop-Tobé est un site occidental de la zone mégalithique, proche du village de Santhiou-Kohel. A. Gallay a dénombré dix-neuf cercles mégalithiques, onze cercles pierriers et une trentaine de tumulus. Le tumulus fouillé faisait une cinquantaine de centimètres de haut, flanqué de quatre pierres frontales alignées. Il a livré deux squelettes inhumés simultanément, sans traces de traumatisme et sans mobilier funéraire.
Le tumulus funéraire de Mbolop-Tobé contenait aussi le squelette d'un chien. La tête du chien décapité était placée sous les pieds de l'individu n°2. C'est un élément commun aux tumulus funéraires du Sine-Saloum. Le sacrifice de chiens était pratiqué dans la zone mégalithique ainsi un squelette de chien décapité fut trouvé dans le cercle n°28 de Sine-Ngayène. Des squelettes de chiens en connexion anatomique ont été aussi exhumés du tumulus coquillier B de Dioron-Boumak. Les animaux ne portaient aucune trace de découpe de boucherie ou de traumatisme. Cette pratique de sacrifice d'animaux est encore attestée par des textes modernes relatifs aux rites funéraires sereer.
4-3/ Les Podom ou tumulus sosé
Le seul tumulus de ce type ayant fait l'objet de fouilles archéologiques est le tumulus de Ndalane, mais rien n'a été publié à ce jour. Actuellement, nous ne savons pas si ce type de tumulus a des liens avec ceux du delta du Saloum ou avec ceux de la zone mégalithique (fig.9). Par contre, la parenté avec les tumulus sereer ne fait aucun doute.
G. Thilmans fouilla en 1972 un des 17 tumulus du site de Ndalane.
Le tumulus fouillé faisait 2,5 m de haut et 40 m de diamètre. Il trouva 4 ou 5
individus inhumés simultanément. Le tumulus fut daté par 14C de 793+-119
ap. J.-C.(DAK-107) grâce à des charbons de bois découverts à -2,55 m de profondeur.
5/ Les autres monuments funéraires mégalithiques
Le plan stéréotypé d'un monument religieux correspond à l'adoption d'une idéologie commune. Par exemple, les cercles mégalithiques relèvent de la même culture. Ce n'est pas le cas des tumulus qui présentent des différences dans la taille des structures et les modes d'inhumations. Pour F. Paris :
" La façon d'enterrer ses morts est très significative d'une culture [...] Les différentes architectures funéraires correspondent à des significations diachroniques ou synchroniques. "
Les trois types de monuments funéraires mégalithiques sont les cercles de monolithes à l'Ouest, les cercles pierriers au centre et les tumulus pierriers à l'Est. Tous ces monuments sont liés par deux constantes :
- la présence d'une ou plusieurs pierres frontales à l'Est ;
- et la forme circulaire des monuments.
Les pierres frontales à l'Est des structures funéraires circulaires forment un lien entre les cercles et les tumulus. De plus la découverte de poteries renversées et percées d'un trou au pied des monolithes de Sine-Ngayène confirme ce lien entre les tumulus (sereer) et les mégalithes. Une influence culturelle a pu se produire entre les deux régions proches. Mais l'hypothèse d'une paternité d'une région sur l'autre n'est pas à rejeter.
La roche latéritique affleurante dans la région de Nioro-du-Rip a permis l'édification de ces monuments funéraires en pierre qui diffèrent des tumulus de sable, de terre ou de coquilles observés dans le reste de la Sénégambie. Certains sites occidentaux de la zone des mégalithes comprennent les deux types de monuments. Dans ces sites, les tumulus sont toujours situés à la périphérie des cercles mégalithiques. Selon A. Gallay, une influence tardive de la civilisation des tumulus du Nord-Ouest s'ajouterait à la croissance centrifuge du phénomène mégalithique. Si les tumulus sont plus tardifs que les cercles alors l'évolution interne a été une transformation progressive des rites d'inhumation. La civilisation mégalithique a peut-être été brisée par l'arrivée de nouvelles populations : une expansion vers l'Ouest des Mandé. Les nouveaux occupants ont bâti des tumulus à but funéraire et sacrificiel autour des anciens lieux de culte. Mais la céramique associée aux cercles et aux tumulus est la même, nous le verrons plus loin. D'après les dates 14C que nous possédons les cercles et les tumulus ont été bâtis à la même période, entre le VIIIe et le XIe siècle. Dès lors, comme le propose aussi A. Gallay, n'y a-t-il pas eu plutôt une opposition fonctionnelle entre les cercles, consacrés aux sacrifices, et les tumulus pour les inhumations accompagnées de quelques sacrifices ?
Tumulus de Ndalane
Mention obligatoire et copyright : Stéphane Pradines
5-1/ Les cercles mégalithiques
La zone des mégalithes comprend 1045 cercles mégalithiques qui occupent sa partie occidentale. Ces structures funéraires sont datées par 14C du IIe à la fin du XVIe siècle.
Les cercles mégalithiques possèdent un nombre élevé d'inhumations, des poteries cultuelles et des dépôts d'armes et de parures. Les squelettes retrouvés avaient des mutilations dentaires.
Une enceinte circulaire de monolithes de latérite délimite un espace intérieur plat ou bombé, parsemé ou non de blocs latéritiques. Une structure frontale, d'un ou plusieurs monolithes disposés en une ou deux ligne(s) à l'Est, s'ajoute généralement à cet ensemble. Dans une minorité de cas, il s'agit d'une pierre bifide, encore appelée pierre en V ou pierre-lyre, comme à Keraiany Ngane.
Sine-Ngayène est le plus grand site mégalithique du Sénégal avec 54 cercles inventoriés. Trois cercles ont été fouillés par G. Thilmans et C. Descamps, portant les numéros 32, 25 et 28. La fouille des cercles mégalithiques a permis de constater une opposition entre les inhumations centrales profondes et les inhumations périphériques superficielles. La disposition des corps est souvent anarchique pourtant on constate certaines constances comme le décubitus latéral prédominant, l'hyperflexion des jambes ou la position en losange : pieds joints et genoux écartés. L'inhumation collective et simultanée des cercles mégalithiques fait penser à des sacrifices humains. Les corps sont jetés dans une fosse circulaire, membres supérieurs et inférieurs apparemment liés.
Cercles mégalithiques de Sine-Ngayène
Mention obligatoire et copyright : Stéphane Pradines
5-2/ Les cercles pierriers
Le cercle pierrier est une couronne de blocs latéritiques dépassant à peine de la surface du sol, à laquelle s'ajoute souvent une structure frontale. L'espace intérieur est plat ou légèrement bombé et présente peu ou pas de blocs en surface. En profondeur, on trouve des blocs latéritiques disposés en deux ou trois couches. Le contour circulaire du monument est délimité par une murette d'éléments polygonaux superposés en trois assises.
Les cercles pierriers classés par G. Thilmans dans le faciès central sont caractérisés par un nombre réduit d'inhumations, réparties en inhumations centrales et profondes orientées vers l'Est d'une part ; périphériques et superficielles d'autre part. Les individus inhumés ont fait l'objet de mutilations dentaires. Les armes, les éléments de parures et poteries funéraires sont absents.
Les sites fouillés par G. Thilmans et C. Descamps dans le secteur central furent Tiékène-Boussoura et Kodiam.
Le site de Tiékène-Boussoura regroupe neuf cercles mégalithiques, dix cercles pierriers, six tumulus pierriers et de nombreux tumulus. G. Thilmans et C. Descamps ont fouillé de 1973 à 1975 plusieurs de ces structures dont deux cercles pierriers (n°18 & 19). Le premier a une ligne frontale double (un monolithe proximal, deux distaux), le deuxième une ligne frontale simple de trois monolithes. Ils comprennent tous deux une enceinte circulaire de blocs latéritiques, constituée d'une murette interne de blocs volumineux et d'un pavage de blocs plus petits à l'extérieur. Au centre se situe l'inhumation unique, à 40 cm de profondeur pour le cercle n°18 et 135 cm pour le cercle n°19 ; le premier étant en décubitus ventro-latéral gauche, orienté E-SE, le deuxième en décubitus dorso-latéral droit, orienté SE.
A Kodiam, soixante-quatre monuments (364 monolithes) ont été dénombrés dont 40 cercles pierriers et 11 cercles mégalithiques. La majorité des structures présentent une ligne frontale, simple ou double ; 87% des monuments frontaux sont à cupules, ainsi que quatre des cercles mégalithiques. Seul le cercle mégalithique n°17 a fait l'objet de fouilles. Il s'agit d'un cercle à douze monolithes et une ligne frontale de deux éléments. Il est daté de 738+-125 ap. J.-C. (DAK-41 ; charbons de bois).
5-3/ Les tumulus pierriers
La partie Nord-Est des mégalithes est composée en quasi-totalité de tumulus pierriers. Ils s'étendent le long des rives des affluents de droite du Sandougou. Le tumulus pierrier est un tertre recouvert d'une couche de blocs ou de gravillons latéritiques, avec généralement une structure frontale. Après fouille, le monument s'avère être composé de trois éléments architecturaux :
- une couverture de blocs de latérite épaisse d'une cinquantaine de cm, formant une sorte de coupole, repose sur une murette ;
- la murette circulaire est composée d'éléments polyédriques en plusieurs assises ;
- enfin une couronne de blocs latéritiques en dehors de la murette est constituée de deux ou trois couches superposées.
Les mégalithes orientaux sont caractérisés par un nombre élevé d'inhumations, des squelettes périphériques peu profonds et une absence de mobilier funéraire.
Un tumulus pierrier fut fouillé sur le site de Saré-Diouldé par G. Thilmans en 1977, à 45 Km au Nord de Koussanar. Il est daté par 14C de 1520+-130 ap. J.-C. (LY-1657 ; charbons de bois). Le tumulus pierrier n°1 est le plus grand : 125 cm de hauteur pour 8 m de diamètre ; vingt-cinq monolithes (orientés E-SE) se regroupent en amas à l'Est du tumulus. Les monolithes semblaient alignés sur quatre lignes parallèles d'après G. Thilmans. Il constate que les monolithes orientaux ont été placés après l'édification de la murette comme le montre un tassement localisé de la murette dû à l'affaissement d'un monolithe.
De nombreux blocs de latérite (15.000) constituent la couverture (trois couches de blocs superposés forment une coupole épaisse d'une cinquantaine de cm), l'épaulement (murette circulaire de 7,5 m de diamètre et une soixantaine de cm de haut, en cinq assises de blocs sommairement appareillés, sur laquelle repose la base de la coupole), et la couronne externe large d'un mètre environ (trois couches de blocs superposés). Les pierres sont fusiformes, de dimensions variables (55 à 170 cm), faiblement implantées (48 cm en moyenne), sur un tiers de leur longueur. La face supérieure de quelques monolithes est creusée d'une cupule.
Les restes osseux de cinquante-six individus, très dégradés, ont été dégagés. La position générale est le décubitus latéral droit dans 61 % des cas (vingt-cinq squelettes), ou gauche (dix squelettes), les mains au voisinage du crâne ou des vertèbres cervicales dans 55 % des cas (trente-cinq squelettes), ou près des os coxaux et des membres inférieurs (vingt-quatre squelettes). L'articulation coxo-fémorale ne suit aucune position préférentielle, tandis que celle des genoux est dans 83 % des cas en hyperflexion. Peu de squelettes sont en position contractée: huit seulement en flexion extrême des coxo-fémorales et hyperflexion des fémoro-tibiales.
G. Thilmans et C. Descamps ont dénombré trente inhumations simultanées, six doubles, une triple, une quadruple et un groupe de 11 corps. Les onze individus enterrés plus profondément au centre du monument, ont été déposés simultanément et partageaient certainement le même statut. Il parait peu probable qu'il s'agisse là des résultats d'une mort violente (au combat), car dans ce cas tous les corps auraient été inhumés simultanément ; la succession de crises (famines, épidémies ou guerres) n'est pas non plus une explication plausible. Les hypothèses penchent plutôt en faveur de mises à mort rituelles. Selon A. Gallay, les corps semblent jetés dans la fosse ; d'autre part les membres inférieurs et supérieurs seraient liés. Cependant les squelettes appartenants à des individus de toutes catégories d'âge, il ne peut s'agir d'un rite d'initiation.
La Culture Matérielle associée aux tumulus
1/ Introduction : l'étude de la culture matérielle
Les sépultures forment un ensemble clos qui est considéré comme un échantillon significatif d'une culture matérielle. Les objets déposés dans les tumulus ont donc une importante valeur chronologique. La typologie est la base de toute étude systématique des cultures matérielles. Elle permet d'établir une chronologie relative très importante, car le Carbone 14 pour les périodes historiques reste assez incertain.
La culture matérielle est un vaste système dont font partie les récipients céramiques et les objets métalliques. Appréhender le processus d'évolution de la culture matérielle, c'est juger des influences régionales en décomposant les assemblages des groupes culturels en types-clefs : spécifiques à un ensemble géographique.
L'étude de la culture matérielle permet de localiser les centres
de production de certains objets manufacturés comme les récipients en céramique
ou les objets de parure en cuivre. Ces objets sont des témoignages historiques,
car outre leurs critères intrinsèques, ils véhiculent une valeur marchande et
symbolisent des liens commerciaux.
2/ Mobilier métallique et minéral
2-1/ Les éléments de parure
L. Garenne-Marot a fait un important travail de classification et de typologie du matériel en cuivre trouvé au Sénégal. Elle admet que ce travail typologique est parfois perturbé par les convergences qui se retrouvent dans l'ornementation des motifs de base. Comme l'a montré L. Garenne-Marot, il s'agit d'analogies et non de liens culturels.
Le contexte funéraire apporte les témoins d'une importante concentration de biens matériels. Des produits sont qualifiés de luxueux quand ils sont fabriqués à partir d'un matériau rare ou quand leur exécution a réclamé un talent particulier. C'est le cas du célèbre pectoral en or de Rao-Nguiguéla.
L'approche néo-marxiste permet de reconstituer le schéma suivant : les chefs du Waalo contrôlent les flux de marchandises afin de dégager un surplus de production et d'exercer une domination locale. Les sites de Rao-Nguiguéla et Massar présentent du mobilier très rare, concentré aux mains de quelques personnes. L'or, par exemple, est un matériau envié qui devient vite à la mode et que seule la classe dirigeante peut s'offrir le luxe de porter. Ces tumulus funéraires exceptionnels sont les témoins d'un début d'étatisation de la région du Waalo. Le commerce entraîne ici une concentration des richesses et une centralisation du pouvoir. La période d'édification des tumulus de Rao-Massar est une époque charnière où l'on délaisse les parures en cuivre rouge au profit de l'or, peut-être sous l'influence arabe.
Les objets en alliage de Rao-Nguiguéla avec un taux d'argent élevé dans la manufacture, dénotent des influences arabo-berbères. Les perles sphériques filigranées de Rao-Nguiguéla se rapprochent en effet des bijoux du haut-Atlas et de l'anti-Atlas au Maroc ; de plus un anneau de cheville en bande mince avec deux charnières évoque les bijoux traditionnels de l'Aurès et de Kabylie en Algérie.
Le tumulus P de Rao-Nguiguéla renfermait le pectoral en or filigrané de 18,4 cm de diamètre avec un décor de granulations, ainsi que des perles en or et six grosses boules creuses filigranées formant un pendentif. Le matériel du tumulus P est représentatif des techniques de granulation et de filigrane des XIIIe-XIVe siècles.
Le tumulus H contenait un collier composé de six éléments formés de 12 boules creuses, soudées en deux rangées de six. Ce collier est fait d'un alliage d'argent avec de fortes proportions de cuivre. Présent également, un anneau de cheville en argent ; ce ruban est articulé par deux charnières et orné de gravures géométriques. Un autre anneau de cheville en argent et décoré de lignes parallèles était enfoui dans le tumulus A. Les parures du tumulus A étaient associées à une épée. Le port des bijoux n'est pas réservé aux femmes comme le montre les statuettes masculines en terre cuite du delta intérieur du Niger, représentées avec des séries de bracelets.
L'autre influence dans le mobilier de Rao-Nguiguéla est soudanaise avec des anneaux cannelés en cuivre :
Seize anneaux de jambe cannelés en cuivre et un collier de douze perles en or cylindriques étaient déposés dans le tumulus G. Les anneaux étaient placés autour des tibias du squelette. Les anneaux cannelés du tumulus G ressemblent à ceux de Sine-Ngayène et Dioron-Boumak. Les perles en or cannelées se rapprochent de celles trouvées à Ndalane.
A Ndalane, la typologie des objets cannelés rappelle ceux de Rao-Nguiguéla. Six perles en or cannelées de forme tubulaire furent trouvées à Ndalane, ainsi que des anneaux en cuivre. Pourtant la composition du métal est différente de Rao où le zinc domine. Les " bronzes-mixtes " de Ndalane sont constitués d'étain et de plomb, deux éléments totalement absents à Rao-Nguiguéla.
Les parures de Dioron-Boumak sont constituées de colliers de coquillages, de bracelets et d'anneaux de chevilles en laiton et en fer. Le collier le plus remarquable est composé de 106 perles en coquillage et d'une perle en or.
Au total, 369 perles en cornaline ont été trouvées à Rao, groupées en colliers et bracelets. Il y a sept modèles de perles différents. Le plus grand collier de 172 perles a été découvert dans le tumulus G de Rao-Nguiguéla, un autre de 88 perles dans le tumulus H.
Dans les cercles mégalithiques le mobilier funéraire, peu important, accompagne généralement les squelettes profonds. Les corps portent des parures individuelles : bracelets en métal cuivreux, la plupart cannelés, et anneaux de jambes en fer.
2-2/ Les armes
Les textes historiques portugais, étudiés par J. Boulègue, nous renseignent sur les armes employées en Sénégambie au XVe siècle :
" L'armement offensif consistait en épées, lances, javelots et arcs. Les épées des Wolof ressemblaient, selon Da Mosto, à des moitiés d'épées turques et leurs javelots avaient un fer d'une palme environ, avec des barbelures [...] Da Mosto indique que les Sereer emploient l'arc, mais les Wolof s'en servaient peu [...] L'armement défensif était surtout représenté par les boucliers. Ceux-ci étaient généralement de forme ronde, assez grands, et recouverts de cuir d'éléphant, d'antilope ou de buffle [...]. "
Une seule épée a pour l'instant été trouvée en Sénégambie, sur le site de Rao-Nguiguéla. Il s'agit d'une épée droite en fer de 80 cm de long, avec une garde simple séparée de la poignée par un anneau de cuivre. L'épée du tumulus A de Rao ressemble à une épée Takuba de style Touareg. Elle appartenait peut-être à un membre d'une aristocratie guerrière.
Toujours à Rao-Nguiguéla, une pointe de sagaie en fer de 25 cm de long a été découverte dans le tumulus E. Elle est constituée d'une douille creuse et d'un fer triangulaire surmontant deux rangées de barbelures.
A Dioron-Boumak, une douille de javelot fut trouvée entourée de fil de cuivre. Cela renforçait la douille, prévenait l'éclatement et lestait l'arme. Les pointes de sagaies de certains tumulus coquilliers de Dioron-Boumak étaient repliées selon une pratique funéraire connue dans diverses régions du monde : il s'agirait d'un rite de protection contre une éventuelle malveillance de la part des défunts.
On retrouve cette même pratique funéraire à Sine-Ngayène où cinq pointes de lances ont été exhumées dans les cercles mégalithiques N°25 et 28, avec leur extrémité repliée intentionnellement.
La plus ancienne arme découverte en Sénégambie provient du site de Dionewar. Une pointe de lance en cuivre a été découverte sur ce site, daté de 395 ap. J.-C.
2-3/ Objets divers
Le tumulus n°5 de Massar contenait deux marmites/bouilloires en cuivre avec des couvercles bombés.
Ces pots sont originaires d'Afrique du Nord et sont appelés " Kadra " en Marocain. D'une hauteur de 11 cm pour un diamètre de 14,5 cm, ils sont décorés de cercles concentriques gravés sur le couvercle, la panse et le fond.
Treize grelots en fer ont été découverts dans le tumulus de Ndalane. D'autres grelots, au nombre de 18, ont été découverts à Dioron-Boumak. Certains étaient accrochés au bras droit d'un adulte (inhumation n°17) dans le tumulus A. Les autres étaient placés aux pieds de deux enfants (inhumations n°38-39) toujours dans le tumulus A.
Dans le tumulus N°4 de Massar fut trouvé un objet en cuivre en forme de U. C'est la partie métallique d'un outil agricole, vraisemblablement une houe en cuivre. La gorge interne contenait encore latéralement des fragments de bois conservés par oxydation ; ils confirment l'hypothèse d'une fixation sur un manche en bois. Cet objet en cuivre ne devait pas être très fonctionnel pour les travaux agricoles. Dès lors son utilisation rituelle est envisageable, puisque l'on sait que l'inhumation d'outils agricoles est pratique courante chez les Sereer actuels.
Des plaquettes en cuivre triangulaires et quadrangulaires étaient
déposées dans les tumulus de Ndalane et Rao-Nguiguéla. Etait-ce une forme de monnaie
en barrettes de cuivre ? Ou était-ce des éléments d'un objet en matière périssable
comme un caparaçon de cheval ? Des appliques circulaires en cuivre étaient ensevelies
dans les tumulus de Rao. Une centaine de petites plaquettes de cuivre de 4 à 8,5
cm de long aux extrémités effilées étaient déposées dans le tumulus J de Rao-Nguiguéla.
3/ Récipients céramiques
3-1/ L'intérêt d'une typologie céramique
Les céramiques des dépôts funéraires sont des types mieux conservés que dans les sites d'habitats et caractéristiques d'une période.
La céramique fonctionnelle, utilisée comme récipient, est souvent opposée à la céramique cultuelle, déposée dans les sépultures. Pourtant une céramique funéraire a pu être fonctionnelle. De plus un dépôt religieux est utilitaire, puisque le principe du fonctionnalisme repose sur des phénomènes intimement liés.
La description des céramiques permet une identification culturelle. L'objectif est de constituer une sériation (ou typo-chronologie) par site et par zone géographique (fig.10). Nous aurons ainsi une vision synchronique et diachronique cohérente.
La méthode pour établir un cadre spatio-chronologique est basée sur la notion de vestige matériel caractéristique. Chaque céramique possède des informations extrinsèques par exemple le contexte géographique et stratigraphique de l'objet. De plus, des informations intrinsèques sont disponibles comme la forme, les décors, l'organisation des décors et la fonction de l'objet. L'organisation des zones décorées laisse transparaître quelques constantes propres à chaque catégorie bien plus que les types de décors.
Deux notions sont à connaître pour interpréter une séquence culturelle. D'abord le mode de peuplement qui est stable ou se déplace. Ensuite le mode d'évolution de la culture matérielle qui est continu ou qui rompt avec l'évolution.
Il n'existe pas actuellement de chronologie des styles céramiques en archéologie précoloniale et subactuelle de la Sénégambie. Il n'y a pas assez de dessins de formes complètes et de tessons, alors que le matériel non traité à l'I.F.A.N. est énorme.
Le mode de façonnage en Sénégambie reste le colombinage et le moulage, les seules poteries faites au tour sont originaires du Maghreb. Le type de décoration cordée est assez stable dans le temps. Heureusement les impressions cordées sont classifiables entre les roulettes en épis végétal naturel, les tresses de paille ou les brins de cordes. Certaines impressions sont faites au filet : on tamponne sur la surface de l'argile une pierre entourée d'un filet qui laisse des marques quadrangulaires. Enfin les décors incisés sont réalisés sur l'argile crue à l'aide d'un brin de paille ou d'un bâtonnet.
3-2/ Famille du secteur oriental, la zone mégalithique
Voyons les différents types de formes céramiques représentés sur les sites mégalithiques localisés autour des affluents de la rive Nord du fleuve Gambie :
A Tiékène-Boussoura, Kodiam et Sine-Ngayène, les tessons de bord les plus fréquemment rencontrés présentent : soit une épaule anguleuse, soit un bandeau terminal engobé avec pincement du bord de l'ouverture aminci et rentrant, ou encore une lèvre plate déversée en bas et en dehors.
Un important dépôt de céramiques carénées fût trouvé à Sine-Ngayène. Il s'agit de quatorze poteries gisant à faible profondeur (50-60 cm) et tournées l'ouverture vers le bas. Elles furent trouvées entre les monolithes du cercle n°25 et ceux de la ligne frontale. Sur les cinq dont le fond était conservé, celui-ci était percé d'un orifice intentionnel. Ces céramiques sont de petites dimensions. Les poteries entières, dont le fond est artificiellement percé, sont en relation avec le monolithe de la structure frontale : au pied ou derrière. Ce type de dépôt n'est observé que pour les mégalithes occidentaux. Les observations ne permettent pas de dire si les poteries ont été enterrées ou disposées sur le sol primitif.
A Saré-Diouldé par contre, les types précédents sont très peu représentés, le bord le plus fréquent étant un col court et rectiligne inséré à angle droit sur le corps. On retrouve sur ce site (également 15% à Sine-Ngayène) un élément typique de la céramique du delta du Saloum : l'embase ou lèvre bifide destinée à supporter un couvercle et des fragments de couvercles dont un bouton de préhension. Cette caractéristique reflète probablement une influence occidentale.
A Sine-Ngayène une part importante des tessons ont une pâte blanche et des lignes de fractures horizontales et concentriques des poteries qui indiquent un montage au colombin . La plupart des autres tessons sont de couleur noire ou grise (oxydation faible dans l'ensemble).
A Mbolop-Tobé, la céramique recueillie sur le cercle 25 est de trois types :
- rouge à pâte grossière,
- formes carénées à pâte blanche partiellement engobée de rouge,
- céramique à bord épaissi rentrant et bols carénés à décor incisé (pâte non blanche).
L'épaisseur moyenne de la pâte est de 9 mm (de 4 à 32 mm selon les sites). Les dimensions varient en général de 82 à 104 mm de haut pour un diamètre maximal de 119 à 171 mm.
Quant au décor, à Tiékène-Boussoura et Kodiam les impressions à la cordelette dominent ; on trouve également un décor " en grains de maïs " par l'impression d'une tresse végétale ; les tessons à stries sont moins nombreux. A Tiékène-Boussoura également, quelques tessons présentent des empreintes de noeud roulé.
A Sine-Ngayène on retrouve en majorité les empreintes de cordelettes et en moindre importance le décor strié ; quelques poteries portent des cannelures près de l'ouverture, sous la carène ou sur la jonction entre le col et l'épaule.
A Saré-Diouldé, le décor en grain de maïs est le plus fréquent, vient ensuite le décor à la cordelette ; les stries ont disparu tandis qu'un nouveau type apparait, le décor " en sabot ", présent sur de nombreux sites du fleuve Sénégal : impressions en quinconce comme des empreintes d'antilope ou de suidé, réalisé à l'aide de minces cordelettes en réseau quadrangulaire, chaque maille étant constituée de deux noeuds serrés. Les tessons engobés sont également présents dans tous les monuments fouillés par G. Thilmans.
En résumé, la région des mégalithes (Nioro-du-Rip) est caractérisée par une céramique carénée à fond rond (fig.11).Ce type de céramique ne se rencontre pas dans le reste de la Sénégambie.
S. et R. McIntosh datent cette céramique de 1000-1250 ap. J.-C. A. Gallay pense que les céramiques carénées entières associées aux monolithes frontaux prouvent la contemporanéité des habitats et des cercles mégalithiques. Les sites de Sine-Ngayène et Mbolop-Tobé sont uniques pour leur relation habitat-sépultures. De plus, A. Gallay a trouvé dans le tumulus de Mbolop-Tobé le même type de céramique, ce qui démontre une contemporanéité ou une acculturation cercles/tumulus. Nous en déduisons que cette céramique carénée caractérise les cercles mégalithiques, mais aussi les tumulus associés aux cercles. L'hypothèse d'une antériorité des cercles sur les tumulus n'est plus valable, la céramique étant la même. Les datations 14C proposées pour la céramique mégalithique s'échelonnent du VIIe au XIIIe siècle. (Sine-Ngayène : 960-1200 ap. J.-C. ; Wassu : 680-960 ap. J.-C. et Kodiam : 600-780 ap. J.-C. ).
Céramiques carénées de Sine-Ngayène
Mention obligatoire et copyright : Stéphane Pradines
3-3/ Famille du secteur septentrional, la zone du Tekrûr
Les sites d'habitats de l'ancien royaume du Tekrûr (Fouta-Toro) fouillés depuis les années 70, ont livré un matériel céramique hétérogène qui présente cependant quelques pièces très particulières.
G. Thilmans a défini deux grandes familles céramiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal : Sintiou-Bara et Tioubalel. Le groupe des sites appartenant à la famille céramique de Tioubalel serait moins ancien que celui de Sintiou-Bara.
Selon G. Thilmans, la famille de " Tioubalel " est définie par un critère fonctionnel : la présence de moyens de préhension discontinus (anse, oreilles, poignées, mamelons ... ). La famille de " Tioubalel " s'opposerait à la famille de " Sintiou-Bara " définie par une typologie réductrice où seuls sont pris en compte les bords en parement et les cordons rapportés. Pour H. Bocoum, seules les coupelles présentent un intérêt chronologique. Elles sont absentes des couches anciennes et peuvent constituer des marqueurs efficaces. Nous partageons cette remarque en l'élargissant aux coupes à pieds de Sintiou-Bara, aux écuelles à fond rond et aux pots globulaires du site d'Ogo.
Les céramiques de Sintiou-Bara sont constituées de coupes à pieds et de pots de petite dimension. L'ornementation est constituée de cannelures au niveau des cols (et des pieds pour les coupes), d'un engobe bordeaux et de sillons profonds dans la pâte formant des motifs géométriques.
Le site de Sintiou-Bara est représentatif de la céramique cannelée et engobée. En effet, huit coupes à pied de petite taille (8 à 32 cm de haut) et six coupelles furent découvertes intactes dans la zone centrale du site. Ce dépôt intentionnel est peut-être associé à un rite funéraire, car en tout 17 poteries ont été trouvées sur une surface de 2m2. Au sud des poteries se trouvaient six squelettes d'ovins (moutons) en connexion anatomique, sans trace de découpe ou de passage au feu. Cet ensemble ossifère ressemble à un sacrifice cultuel. Les ossements et le dépôt de céramique étaient à 110-125 cm de profondeur. La chronologie du site s'échelonne de 400 à 1050 ap. J.-C. d'après les datations 14C.
Les céramiques dites de " Sintiou-Bara " sont très caractéristiques par leurs formes et leur engobe lissé bordeaux (lie-de-vin). De plus, les coupes à pied et les vases ont un décor symbolique incisé profondément et non pas des motifs cannelés. Le site de Guédé appartient à ce type de céramique : une bouteille à col long cannelé et décorée d'un engobe rouge et de deux lignes incisées parallèles dessinant un motif. Le site de Podor contient de même des pièces à engobe lie-de-vin, des cols de bouteilles et des goulots cannelés. Il est daté par 14C de 370+-130 à 1387+-110 ap. J.-C. Enfin le site de Tioubalel situé sur l'île à Morphil a livré encore des tessons engobés à décor incisé.
S. et R. McIntosh ont établi une chronologie céramique pour la moyenne vallée du fleuve Sénégal à partir de l'étude des sites de Tioubalel et Sintiou-Bara. Cette chronologie comprend quatre phases, la première s'étend de 0 à 400 ap. J.-C. Elle est suivie par la phase II de 400 à 600 ap. J.-C. Les petites coupes, les bouchons et les disques apparaissent à cette période.
La phase III est datée de 600 à 900 ap. J.-C. La fin de cette phase est caractérisée par un engobage bordeaux, des cordons ajoutés et des cols cannelés. Le site d'Ogo, fouillé par B. Chavane, est à la charnière des phases III et IV. Les dates 14C pour Ogo vont de 930+-90 à 1040+-90 ap. J.-C. Le site d'Ogo a livré deux types de céramiques caractéristiques : une écuelle à fond rond décoré d'impressions cordées et d'un épaulement ; et un pot globulaire à cordon rapporté avec des motifs géométriques incisés profondément sur la panse.
La phase IV va de 950 à 1200 ap. J.-C. Durant cette période, l'engobage et les cols cannelés sont diffusés jusqu'à l'embouchure du fleuve Sénégal. La phase IV est suivie d'un hiatus dans la culture matérielle céramique peut-être dû à l'effondrement des forces politiques dans la région. La phase suivante est plus floue, elle est associée à des pipes à fumer à partir du XVIe siècle.
3-4/ Famille du secteur occidental, le delta du Saloum
L'étude de la céramique du delta du Saloum a été négligée par S. et R. McIntosh lors de leurs prospections sur les tumulus sénégambiens. Pourtant nous l'avons vu, la majorité des tumulus coquilliers ont été érigés par les Sereer. La céramique présente dans ces tumulus fait donc aussi partie de notre étude.
Le delta du Saloum et particulièrement le bras du Bandiala est une région d'amas et de tumulus coquilliers. La céramique trouvée dans ces tumulus funéraires présente des caractères spécifiques par rapport à ce que l'on trouve dans le reste du Sénégal.
C. Descamps et G. Thilmans ont exhumé 125 poteries entières ou reconstituées dans les tumulus funéraires de Dioron-Boumak. Les céramiques intactes prouvent que la chambre funéraire devait être de petite dimension ou inexistante sinon le mobilier aurait été brisé par la chute de la couverture végétale.
Cette céramique est constituée de jarres et de pots avec un couvercle déprimé avec au centre un téton de préhension (fig.12 et 13). Le couvercle est supporté par une lèvre bifide (embase). Les décors sont caractérisés par un engobe rouge vif et des impressions à la cordelette (noeuds roulés).
Les sites de Dioron-Boumak et Bandiokouta sont représentatifs de cette céramique. Ce type de céramique est daté de 370 à 810 ap. J.-C. , mais la datation la plus probable irait jusqu'au XIIIe siècle. Le matériel céramique, découvert par O. Linares de Sapir en Casamance, ressemble à la céramique funéraire du Bandiala en plus grossier. La chronologie de O. Linares de Sapir va de 200 av. J.-C. à 1600 ap. J.-C. et recoupe la culture Diola actuelle.
Les poteries du delta du Saloum sont diffusées par voie fluviale jusqu'à Ndalane et Sine-Ngayène. Le commerce des mollusques en provenance des côtes atlantiques n'est pas à négliger dans la diffusion de la céramique du delta du Saloum vers l'Est jusqu'à la zone mégalithique. La chair des huîtres de palétuviers et d'Arca Senilis, récoltée dans le delta du Saloum, est séchée, stockée dans des poteries et transportée vers l'intérieur des terres. Ce commerce se faisait par voie fluviale. La formation des amas coquilliers n'est donc pas uniquement due à la consommation locale de mollusques.
Enfin il faut préciser que l'ensemble de la céramique des amas et tumulus coquilliers n'est pas tout à fait homogène. Un second groupe existe, représenté par le site de Faboura. Ce site, daté de 90 ap. J.-C. à 635 ap. J.-C. , comprenait 40 poteries intactes de forme ovoïde à pâte rose-orangée. Cette céramique est donc antérieure à celle de Dioron-Boumak et appartient à des groupes post-Néolithiques.
Pots à engobe rouge du delta du Saloum
Mention obligatoire et copyright : Stéphane Pradines
3-5/ Familles du secteur central, les Mbanar
Les prospections de S. et R. McIntosh en 1988 sont actuellement la seule synthèse sur la céramique des tumulus sénégambiens. Ils constatent une division entre la céramique des tumulus du Nord (Rao/ Dahra), datée de 900-1000 ap. J.-C. et plus, et la céramique des tumulus du Sud (Mbacké/ Nioro-du-Rip) qui est plus ancienne : 700-1000 ap. J.-C. et moins.
Le matériel céramique de l'ensemble Nord-Ouest rassemble les zones du Lac de Guiers, de Dahra et de Rao. Les cannelures sont fréquentes sur les céramiques associées aux tumulus. Selon S. et R. McIntosh, les formes cannelées proviennent de la moyenne vallée du fleuve Sénégal et auraient été distribuées entre 1000 et 1500 ap. J.-C.dans la région de Rao (phase IV de Tioubalel). La diffusion des vases à col cannelé vers l'embouchure du fleuve Sénégal est confirmée par la date 14C de Rao-Massar de 1160+-100 ap. J.-C. Les autres décors à Rao sont aux impressions de coquillages (Tympanotonus), points incisés sous les cols en chanfrein, droits ou retournés. La vaisselle est de forme globulaire ou ovoïde comme le pot entier de 22 cm de haut dans le tumulus J de Rao-Nguiguéla (fig.14).
L'ensemble Sud comporte la région centrale de Mbacké qui est caractérisée par des tessons décorés d'impressions à la roulette sur deux chevrons. Cette céramique a de nombreux points communs avec la zone des sites mégalithiques. S. et R. McIntosh pensent aussi que les lèvres épaisses et cylindriques de certains tessons de bords pourraient provenir d'une tradition céramique de la moyenne vallée du Sénégal. Cette tradition a été observée à la phase III de Tioubalel, de 700 à 1000 ap. J.-C. Ils émettent cette hypothèse avec réserve en citant les traditions orales qui parlent de mouvements de populations.
Nous avons effectué en février 1995 à l'I.F.A.N. un examen de la céramique des tumulus funéraires tous types confondus. Cela nous a permis de constater des similitudes entre la céramique de Ndalane et de Dioron-Boumak :
- utilisation d'une pâte grise, fine pour certains récipients (fig.15) ;
- organisation des motifs et décors identiques pour quelques céramiques : traits ou points incisés sur des cordons horizontaux (fig.15) ;
- présence à Ndalane de tessons de lèvres bifides (embases), caractéristiques de la famille du delta du Saloum (fig.16).
Tous ces éléments laissent penser que les populations du delta du Saloum entretenaient des relations avec l'arrière-pays ou étaient d'une même origine culturelle que les populations de Ndalane.
Le site de Peul-Ngadiari possède un ensemble de tumulus funéraires comparables à ceux de Ndalane. La fouille de ces tumulus devrait nous permettre de vérifier l'hypothèse d'une relation entre la zone de Ndalane et de Dioron-Boumak.
3-6/ Céramique et sites d'habitats subactuels
3-6-1/ Les Gents ou villages subactuels
Une prospection a été réalisée du 22 au 26 février. Le but de la prospection était de mettre en évidence des sites d'habitats subactuels liés aux tumulus funéraires sereer dans une zone non prospectée par S. et R. McIntosh (1988). Nous étions hébergés chez Monsieur Cheikh Fall à Fatick. Les prospections ont concerné les alentours des villages de Bélikaél, Tiombi, Khalambas, Tioupane, Gamboul Keur Matar, Ndalane, Bélél Gadiali, Khombol, Peul Ngadiari et Yenguélé. Tous ces sites sont situés entre Fatick et Kaolack, sauf le site de Yenguélé, au Sud-Ouest de Niakhar, fouillé par M. Lam en 1994.
Les sites récents ou subactuels en pays sereer sont appelés " Gent ". L'identification des sites d'habitats associés aux tumulus est très difficile. Car les sites d'habitats, en dehors du Fouta-Toro, ne présentent pas d'accumulation stratigraphique. La nature des sites d'habitat en brousse ne se prête pas à une accumulation stratigraphique : un village ne reste jamais plus de 50-100 ans au même endroit : les ordures formées par un village servent d'engrais pour les cultures. Le village se déplace et les vestiges de l'ancien habitat sont rapidement détruits par les labours. La présence de baobabs peut permettre de repérer de loin les sites d'habitats subactuels ou récents. En effet, les cours et places des villages étaient et sont toujours occupées par ce type d'arbre qui procure ombre et fraîcheur.
En 1988, S. et R. McIntosh font des prospections à la recherche des sites d'habitats contemporains des tumulus et de la céramique associée aux monuments. Leur méthode consiste à marcher dans un rayon de 1,5 Km autour des tumulus repérés par V. Martin et C. Becker. La prospection s'effectua sur 4 zones : la zone de St-Louis (Rao), la vallée du Ferlo (Yang-Yang), la zone de Mbacké (Tiékène) et la zone de Nioro-du-Rip (Kaymor).
Les dunes et les interdunes autour de Rao abritent les vestiges d'occupations humaines sur de petites surfaces. Ces sites, par la faible accumulation de déchets anthropiques, sont sûrement de courte durée. La région autour du lac de Guiers et la vallée du Ferlo ne présentent pas de sites d'habitats contemporains des tumulus funéraires. Les sites découverts par les prospections de S. et R. McIntosh sont plus tardifs.
Dans la région de Mbacké, il y a une absence totale de sites d'habitats à cause de l'intensification de la culture des arachides. Seulement quelques sites d'habitats récents sont trouvés par S. et R. McIntosh dans la savane arborée autour des grands tumulus de la zone de Tiékène. Des sites d'habitats contemporains des structures mégalithiques de la région de Nioro-du-Rip ont été inventoriés aux alentours des sites de Sine-Ngayène, Kaymor et Mbolop-Tobé.
La partie la plus intéressante pour l'étude de ces sites est la vallée sèche du petit Bao Bôlon. Les sites d'habitats rencontrés sont toujours de surface, sans accumulation stratigraphique. S. et R. McIntosh concluent que les sociétés créatrices des tumulus devaient être de petite taille par comparaison aux sites de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Seuls les sites reconnus de Sine-Ngayène et Mbolop-Tobé sont uniques pour leur relation de contemporanéité relative des habitats/cercles/tumulus.
Les habitations subactuelles sont difficiles à identifier et présentent peu de vestiges céramiques contrairement aux zones de rejet des déchets domestiques. Ces dernières se présentent sous la forme de tas d'ordures plus ou moins importants.
Dès 1941, les buttes à ordures de Mboy-U-Gar attirent J. Joire, mais il les délaisse au profit des tumulus de Rao-Nguiguéla. Pourtant ces dépôts consécutifs à une accumulation anthropique étaient supposés contemporains de Ndiadiane Ndiaye, fondateur du Grand Jolof.
Pour obtenir une bonne chronologie relative de la céramique subactuelle en pays sereer, il faudrait multiplier les fouilles stratigraphiques des buttes à ordures puisque les sites d'habitats ne sont pas stratifiés.
Nous avons relevé dans le village de Tiombi de nombreuses buttes à ordures de 2 à 3 m de haut qui datent d'avant la construction du village selon la population. La céramique à la surface des buttes présente des caractères subactuels. Un sondage stratigraphique permettrait d'obtenir des informations sur la céramique subactuelle en pays sereer et d'établir une chronologie relative. De plus, un gros tumulus funéraire est situé au centre du village de Tiombi, sa fouille pourrait apporter des éléments céramiques semblables aux tas d'ordures.
3-6-2/ La céramique subactuelle
Les pipes africaines trouvées sur les sites de surface permettent de dater avec certitude ces sites de la période moderne dite subactuelle : XVIe-XIXe siècles.
Les pipes à fumer datent du XVIe siècle, des premiers contacts avec les Européens ; le tabac est en effet introduit en Afrique Occidentale en 1591 ap. J.-C. (mais les Africains devaient fumer d'autres plantes auparavant). Les pipes européennes sont en argile blanche fine, elles diffèrent des pipes africaines plus grossières en pâte grise avec un engobe rouge-orange ou noir (fig.17). Ces pipes cessent d'être utilisées en 1818 à cause de la défense de Cheikou Amadou de consommer du tabac, néanmoins cette interdiction ne devait pas être respectée partout.
G. Thilmans a définit une famille de céramique subactuelle dans " La Protohistoire du Sénégal ". Cette famille est appelée toutcouleur en raison de sa similitude avec la céramique actuelle toucouleur et de son association avec des pipes à fumer. Les caractéristiques de cette céramique sont très floues : bord à arête externe crantée et/ou cordon rapporté avec des impressions digitées ou au bâtonnet. Les décors incisés ne sont pratiqués que sur le haut de la panse car ils fragilisent le vase.
Le même type de céramique avait été attribué aux Sereer par B. Chavane en 1977 lors de la fouille d'un site subactuel à Guédé. Le site était un ancien village sereer des XVe-XVIIe siècles d'après la tradition orale. Le matériel recueilli est composé de tessons à lèvres plates parfois incisés sous le col, de fragments de pipes et d'une céramique entière : une écuelle.
Les formes et les décors des bords collectés par B. Diop en 1985 sur des gents sereer ressemblent aux bords de la famille toucouleur. Nous avons fait les dessins de ces tessons qui montrent des décors poinçonnés sous le col comme la famille toutcouleur de G. Thilmans (fig.17 et 18). En attendant une étude approfondie, il est plus juste d'attribuer ce type de céramique aux sites subactuels.
La famille toucouleur définie par G. Thilmans existe t-elle ou s'agit-il de céramique subactuelle non attribuable à une ethnie ? Peut-on parler d'une uniformisation de la culture céramique au XIXe siècle à cause de l'extension de l'empire peul qui allait du Fouta-Toro au Fouta-Djalon ? Enfin les Toucouleurs et les Sereer modernes partagent-ils les mêmes traditions céramiques ?
Conclusion
1/ Bilan provisoire
1-1/ Mégalithes et tumulus
La région des mégalithes est située autour des affluents de la rive Nord du fleuve Gambie. Cette zone forme une aire archéologique bien délimitée associée à une céramique carénée à fond rond. Notre étude a permis de constater que la " culture mégalithique " a influencé l'architecture et le rite funéraire des sépultures sereer.
Tout d'abord, les pierres frontales à l'Est des monuments funéraires mégalithiques rappellent étrangement les piquets en bois plantés à l'Est des tumulus sereer. Ce lien est renforcé par la présence de poteries renversées et percées d'un trou au pied des monolithes et piquets frontaux.
Ensuite un élément commun aux monuments funéraires du Sine-Saloum est le sacrifice de chiens et d'animaux en général. Ce rite était pratiqué dans toute la zone mégalithique puisqu'un squelette de chien décapité fut trouvé dans le cercle n°28 de Sine-Ngayène et dans le tumulus funéraire de Mbolop-Tobé sous les pieds de l'individu n°2. Des squelettes de chiens en connexion anatomique ont été aussi exhumés du tumulus coquillier B de Dioron-Boumak. Les animaux ne portaient aucune trace de découpe de boucherie ou de traumatisme. Cette pratique de sacrifice d'animaux est encore attestée par des textes Portugais et Français relatifs aux rites funéraires sereer.
Dans les sites occidentaux de la zone des mégalithes, les tumulus sont toujours situés à la périphérie des cercles mégalithiques. Ce qui fait dire à A. Gallay qu'une influence tardive de la civilisation des tumulus du Nord-Ouest s'est ajoutée au phénomène mégalithique. L'origine Nord-Ouest des tumulus est contestable. Car la région du Waalo présente de grands tumulus tardifs comme Rao-Nguiguéla. De plus, A. Gallay a trouvé dans le tumulus de Mbolop-Tobé le même type de céramique carénée qui démontre une contemporanéité ou une acculturation cercles/tumulus. L'hypothèse d'une antériorité des cercles sur les tumulus n'est plus valable : la céramique étant la même. Les datations 14C proposées pour la céramique mégalithique s'échelonnent du VIIe au XIe siècle.
L'inhumation sous tumulus semble provenir du delta du Saloum, elle s'est greffée aux rites mégalithiques et a entraîné une transformation progressive des rites funéraires dans le Sine-Saloum. Les tumulus sereer sont le résultat de ce métissage culturel.
1-2/ Elargissement du phénomène aux tumulus coquilliers
L'étude de la céramique du delta du Saloum a été négligée par S. et R. McIntosh lors de leurs prospections sur les tumulus sénégambiens. Pourtant nous avons vu qu'à la période moderne, la majorité des tumulus coquilliers ont été érigés par des Sereer. Les Sereer du littoral se servaient de coquillages pour édifier leurs tumulus. Les tumulus coquilliers du delta du Saloum sont caractérisés par des inhumations multiples, mais individuelles.
Les poteries du delta du Saloum sont diffusées par voie fluviale jusqu'à Ndalane et Sine-Ngayène. Tous ces éléments laissent penser que les populations du delta du Saloum entretenaient des relations commerciales avec l'arrière-pays ou étaient d'une même origine culturelle que les populations de Ndalane.
L'inhumation sous tumulus dans le delta du Saloum remonte au moins au VIIIe siècle de notre ère et est peut-être à l'origine du phénomène tumulaire. La présence de céramiques à couvercle, typique de Dioron-Boumak, à l'intérieur des terres peut s'avérer aussi un important marqueur chronologique et culturel.
1-3/ Tumulus et société
La hauteur d'un tumulus est proportionnelle à la fortune du défunt car les ouvriers chargés de son édification étaient rémunérés avec les biens personnels du mort, souvent du bétail. Les grands tumulus sont donc associés à un chef de clan ou un personnage important de la région.
Les sites de Rao-Nguiguéla et Massar présentent du mobilier très rare comme l'or, que seule la classe dirigeante peut s'offrir le luxe de porter. Ces tumulus funéraires exceptionnels sont les témoins d'un début d'étatisation de la région du Waalo. Le commerce entraîne ici une concentration des richesses et une centralisation du pouvoir.
Dès lors, il est étonnant de ne pas trouver les plus gros tumulus dans la région du Tekrûr. A propos des rites funéraires, B. Chavane conclut son ouvrage sur les villages de l'ancien Tekrûr par une analyse étonnante :
" Ce peuple industrieux et commerçant semble assez peu préoccupé par les problèmes métaphysiques: les inhumations du premier millénaire se font simplement, sans mobilier funéraire, à proximité ou dans la case même du défunt. Ces pratiques contrastent avec les puissants monuments funéraires des civilisations voisines de l'Est et du Sud. "
Dans sa thèse soutenue en 1993, L. Garenne-Marot propose une renomination de certains sites de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Ainsi le site de Sintiou-Bara serait un tumulus funéraire. Cette hypothèse est justifiée notamment par la présence d'un dépôt de céramiques intactes et d'animaux sacrifiés. Les objets découverts sur un autre site à Podor infirment la thèse de L. Garenne-Marot. En effet en 1958, des objets de parure, des clochettes en cuivre et une coiffe en or sont mis à jour lors de travaux de terrassement. Le bonnet en or et les clochettes sont des objets symbolisant le pouvoir en Afrique Occidentale. Néanmoins ces tombes princières sont peut-être implantées sur d'anciens sites d'habitats comme cela est le cas pour de nombreux tumulus maliens.
1-4/ Origine géographique et ethnique des tumulus
Plusieurs groupes sont à l'origine des tumulus funéraires au Sénégal, d'où la nécessité d'études régionales. Les tumulus funéraires sont à diviser en sous-groupes régionaux. L'hypothèse de migrations ou de conversions par acculturation est préférable à un grand modèle diffusionniste.
Seule une démarche " ethno-archéologique " mettra en évidence les cultures matérielles céramiques propres à chaque ethnie et sous-groupe linguistique. Cela permettra de comprendre les anciens mouvements de populations.
La région du Sine-Saloum était occupée à l'origine par des populations Noon, Ndut et Safeen. Les Noon sont peut-être les premières populations littorales du Saloum à avoir construit des tumulus.
Une vague de population Sosé arriva ensuite du Nord-Est. Les Sosé viennent peut-être du royaume du Ghana entre le VIIIe et le XIIe siècle. Les Sosés enterrent aussi leurs morts sous des tertres. C'est à cette période que ce produit une acculturation avec la zone mégalithique par l'utilisation de pierres frontales et des sacrifices humains et animaux. Avec l'arrivée vers le XIIIe siècle des Sereer, les Sosé sont absorbés. Les Sereer et les Gelwaar continuent alors la tradition des tumulus funéraires.
Les grands tumulus antérieurs au peuplement sereer sont attribués par les Sereer eux mêmes aux Sosé. Ces édifices occupent une place particulière au sein des tumulus sénégambiens puisqu'ils sont situés entre les tumulus coquilliers à l'Ouest, les tumulus de la zone mégalithique à l'Est et les grands tumulus du nord comme Tiékène et Rao-Nguiguéla. De plus ces tumulus recoupent l'aire d'extension des tumulus subactuels Sereer. La recherche archéologique devrait donc s'orienter vers ce type de tumulus afin de comprendre les interactions entre les différentes structures funéraires.
1-5/ Evolution et datation des tumulus
L'ensemble des tumulus du Nord est caractérisé par une céramique datée de 900-1000 ap. J.-C. associée à de gros monuments. Ces tumulus sont divisés en deux sous-groupes :
- la zone des gros tumulus du Waalo (Rao) et du Jolof ;
- et la zone des très gros tumulus de Tiékène dans le Bawol.
L'ensemble des tumulus du Sud (Mbacké/ Nioro-du-Rip) est daté par sa céramique de 700-1000 ap. J.-C. et moins. Ces tumulus sont classés en quatre sous-groupes :
- les tumulus coquilliers du delta du Saloum sur la façade atlantique ;
- les tumulus Sereer du Sine-Saloum ;
- les tumulus du secteur mégalithique ;
- et les grands tumulus inclassables comme Ndalane.
Les tumulus Sénégambiens sont le résultat d'un brassage ethnique et d'une acculturation entre les populations du delta du Saloum, de la zone mégalithique au Nord du fleuve Gambie (Xe-XIIe siècle) et de populations Mandé comme les Sosé.
Les Sosé ont peut-être été rejetés vers le Nord par les populations Sereer et Gelwaar. Cela expliquerait la diffusion des tumulus vers le Nord, vers Mbacké puis Rao. Ces populations vont rencontrer d'autres ethnies venant de l'ancien Tekrûr. Ils s'installent dans le Waalo entre le XIe et le XIIIe siècle.
Les tumulus sereer actuels et subactuels sont le résultat de
ce métissage culturel dans le Sine-Saloum (fig.2).
2/ Recherches futures
2-1/ Fouille de tumulus en pays Sereer
L'objectif de ce livre était de présenter une synthèse de notre connaissance des tumulus sénégambiens. Un important problème soulevé est le rôle du delta du Saloum et de la zone mégalithique dans la genèse des tumulus sereer. Cette acculturation a dû se produire entre le VIe et le XIe siècle.
Le site de Peul-Ngadiari possède un ensemble de tumulus funéraires comparables à ceux de Ndalane, datés du VIIe siècle. La fouille de ces tumulus devrait nous permettre d'examiner les relations entre les sites de Dioron-Boumak, de Ndalane et de Sine-Ngayène.
2-2/ Archéologie des Temps Modernes en pays Sereer
Nous savons par des témoignages historiques que les Sereer construisent des tumulus funéraires depuis le XVIe siècle au moins. Une de nos problématiques est d'attribuer une ou plusieurs origine(s) ethnique(s) aux tumulus du premier millénaire après J.C. La fouille du site de Peul-Ngadiari apportera des éléments de réponse pour cette période.
La période historique, dite des temps Modernes, est aussi mal connue. Pour obtenir une bonne chronologie relative de la céramique subactuelle en pays Sereer, il faudrait multiplier les fouilles stratigraphiques des buttes à ordures puisque les sites d'habitats ne sont pas stratifiés.
Nous avons relevé dans le village de Tiombi de nombreuses buttes à ordures de 2 à 3 m de haut qui datent d'avant la construction du village selon la population. La céramique à la surface des buttes présente des caractères subactuels. Un sondage stratigraphique permettrait d'obtenir des informations sur la céramique subactuelle en pays sereer et d'établir une chronologie relative. De plus, un gros tumulus funéraire est situé au centre du village de Tiombi, sa fouille pourrait apporter des éléments céramiques semblables aux tas d'ordures et ainsi présenter une séquence de la culture matérielle des Sereer.
GLOSSAIRE
Bille : ancien village en pulaar (langue Toucouleur), apparentés aux Toguéré du Mali ou aux tell du Proche-orient
Canari : jarre en typologie céramique
Gaabu : ou Gabou, pays au Sud de la Sénégambie d'où viennent les Gelwaar.
Gelwaar : ou Guelwar, Malinkés originaires de l'empire du Mali
Ghana : ou royaume du Wagadu au VIIIe - XIe siècle, situé au N-O du Mali actuel
Jolof : ou Djolof, province du Sénégal, ancien royaume Wolof couvrant toute la Sénégambie du XIIIe au XVIe siècle
Lomb : tumulus Sereer subactuel
Malinké : peuplement Mandingue venant de l'empire du Mali qui s'installe jusqu'en Guinée sur la façade atlantique au XIIIe-XIVe siècle.
Mandé : terme général regroupant Mandingues, Soninkés et Malinkés.
Mbanar : tumulus funéraire en Wolof
Peul : ethnie de pasteurs nomades, les Fulbé sont apparentés aux Peul au mali.
Podom : tumulus Sosé en Sereer
Sarakollé : terme Sénégalais désignant des Soninkés
Sereer : ou Sérères, ethnie du Sénégal
Soninké : ou Sarakollé, ethnie fondatrice du royaume du Ghana, se disperse en Sénégambie entre le VIIIe et le XIIe siècle.
Sosé : Sosé ou Sosoe, ethnie mandé apparenté aux Sarakollés
Tekrûr : Tekrour ou Tekrûr, Etat animiste crée par les Dia-Ogo, islamisé au XIe siècle par War Djabi.
Tioubalel : ou Cubalel, site archéologique de la moyenne vallée du fleuve Sénégal
Toucouleurs : ethnie mixte à dominante de Peul et de Soninkés. Les Toucouleur parlent le " Haal-pulaar " : la langue des Peul.
Waalo : Walo ou Oualo, province du Sénégal, ancien royaume du XIe au XIIIe siècle
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Vos contributions et commentaires sur le contenu de cette page
Vous nous resumez l'histoire passionnate des Serrères par cette affirmation "En résumé, les Gelwaar ont occupé la région du Sine-Saloum du XIVe au XVIe siècle en exerçant une domination sur les populations déjà en place comme les Sereer" Pourriez vous nous expliquer par quelle logique des populations qui dominent heriteraient de la langue même des dominés. Car si on s'en refère à l'exemple pertinent que fut la colonisation française c'est bien leur langue qui reste encore celle officielle au Sénégal. Quelque anthropologiste que vous soyez vous ne devez pas vous permettre d'avancer des thèses aussi gratuites ou tout au plus à démontrer. Serère : ne viendrait pas d'une expression Pulaar quoique les Toucouleurs cousins des Sérères ont cohabité ensemble car les premiers étant issus d'un métissage des seconds d'avec les Peuls ; elle signifiait la noblesse en Egypte Ancienne et est synomyme de Sen (Les favoris et les frères) ou San qui signifient aussi la communauté des nobles comme ce fut à "Sankoré - Empire Mandingue" ...